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en question. Jusqu’au jour de son arrivée ici, le voyage de Hongrie ne faisait pas de doute. Que Villars ne soit pas favorable à ce voyage, qu’il craigne que nous ne mettions l’Électeur dans une meilleure voie, cela est tout naturel ; mais que des ministres et des sujets de Sa Majesté sive bona, sive mala intentione, directe vel indirecte, se mêlent de seconder les vues de la France, je ne puis pas le comprendre : pour un million, je ne voudrais pas agir comme ce ministre, comme cette comtesse de Paar qui négocie palam ad mentem dicti ministri contra Cæsaris intentionem.


La fin de la dépêche est consacrée à l’exposé des soucis de Kaunitz, de ses souffrances, de son découragement. Si l’empereur n’agit pas vigoureusement, les intrigues de la comtesse Paar réussiront, l’électeur n’ira pas en Hongrie, et Kaunitz demande à être promptement relevé d’une mission qu’il ne pourrait utilement conserver ni pour le service de l’empereur, ni pour ses propres convenances.

Kaunitz ne se trompait pas : la comtesse Paar avait conseillé à l’électeur de ne pas faire la campagne de Hongrie ; elle avait fait agir Mlle de Welen dans le même sens, et celle-ci avait écrit à Max-Emmanuel qu’elle lui « défendait expressément de partir et qu’elle se jetterait dans un couvent pour n’en sortir de sa vie s’il partait. » Villars, de son côté, lui affirmait que sa réputation militaire était trop bien établie pour souffrir du refus de faire une campagne annoncée : l’électeur, paraissant céder à ces influences, fit déclarer à Kaunitz qu’il n’irait pas en Hongrie.

Kaunitz prit cette déclaration au sérieux et fut au désespoir. La résolution de l’électeur ne devait pourtant pas résister à la tentation d’un commandement en chef. Le bruit vrai ou supposé d’une maladie du duc de Lorraine s’étant répandu six jours après cette déclaration, il envoya son premier chambellan dire à Kaunitz qu’il s’offrait pour remplacer le chef de l’armée impériale. Cette évolution n’était pas la dernière ; quelques jours n’étaient pas passés, le départ pour la Hongrie était encore ajourné : l’électeur avait eu vent que la maladie de son rival avait été supposée pour lui arracher son consentement, n’avait envoyé à Vienne un officier de confiance pour savoir la vérité, et, en attendant, retirait sa parole. Kaunitz se découragea; il repartit pour Vienne le 12 juin : en arrivant, il résuma ses impressions dans un rapport à l’empereur où il exhala son mécontentement contre tous ceux qui avaient circonvenu l’électeur et l’avaient rendu méconnaissable. Villars n’est pas oublié ; on lira sans doute avec intérêt la traduction de cette lettre :