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déjà arrêtées de l’électeur, mais elle devait lui servir, comme la première fois, à arracher à l’empereur des concessions qu’il n’était pas disposé à accorder. Kaunitz fut de nouveau chargé de la négociation : il arriva à Munich, le 10 novembre, très mécontent. Ayant rencontré Villars le jour même, il lui dit « qu’il n’aurait pas manqué de venir chez lui, mais que la conjoncture présente ne permettait pas ces honnêtetés-là. » — a Je lui répondis, écrit Villars, qu’il était nécessaire qu’il m’apprît ces difficultés-là et que, pour moi, je n’y aurais pas songé ; que nous étions accoutumés à faire des honnêtetés à nos ennemis, même à la tête de nos escadrons, et que, dans une cour tranquille, je n’en avais oublié aucune, mais que je réglerais ma conduite sur la sienne. » Leurs relations en restèrent là ; ils n’avaient, d’ailleurs, rien à traiter ensemble : leur champ de bataille était l’esprit flottant de l’électeur, dont, chacun de leur côté, ils avaient à entraîner les décisions. Placé entre leurs sollicitations contraires, Max-Emmanuel recommença le manège qui lui avait déjà réussi au printemps, allant de l’un à l’autre, mettant ses services à prix et sa fidélité aux enchères.

Il débuta pourtant par des rebuffades : à son premier entretien avec Kaunitz, prenant à la lettre le mot de « médiateur » qui se trouvait dans une des dépêches du roi, il offrit ses bons offices, sa « médiation » pour le rétablissement de la paix entre la France et l’empire. Kaunitz reçut fort mal cette communication et s’étonna que Max-Emmanuel eût consenti à s’en charger; l’électeur s’en plaignit à Villars, qui, à son tour, le prit d’assez haut et dit que le roi en écrivant le mot de « médiateur » n’avait voulu que lui donner une preuve de son estime et « éviter à l’empire une guerre dont sa majesté n’était guère embarrassée. » L’électeur prit sa revanche le lendemain en faisant communiquer à Kaunitz les conditions auxquelles il consentirait à traiter avec l’empereur. Elles étaient exorbitantes : Schmidt, Mayr et Wampel étaient chargés de les discuter avec l’envoyé impérial : ils avaient déjà reçu la mission d’étudier les propositions du roi ; autrement dit, ils devaient éconduire lentement Villars et extorquer à Kaunitz le plus de concessions possibles. Les trois conseillers du maître jouèrent leur personnage à son entière satisfaction : prodiguant des deux côtés les protestations contradictoires, multipliant les démarches mystérieuses et les entretiens secrets[1].

  1. On lira peut-être avec curiosité le billet par lequel Schmidt invitait Villars à l’une de ces conférences secrètes :
    « Son Excellence !
    « Excellentioe Vestræ humiliter significo, a Serenissimo Electore Duo meo clementissimo me hodic accepisse mandatum, ut cum Duo Collega meo Marco di Mayr super his, quæ nomine christianissimæ Regiæ Majestatis a Sua Excellentia proposita sunt, oretenus conferrem : hæreo quidem gravi catharro domi detentus, nihilominus nos ambo deputati Vestræ Excellentiæ ad libitum remittimus, quam horam et quam locum nobis crastino die conveniendi designare velit, erimus semper ad nutum ad inserviendum parati. Mihi videtur vespertinum crepusculum ad secretum conservandum aptissimum fore : si igitur Excellentiæ Vestræ placeret circa horam sextam vespertinam incognito ad ædes meas devenire, aperirem posteriorem portam domus meæ, ubi accessus nulli homini in domo mea notus esse posset, nec vicinis ibi plebeis hominibus ullo modo suspectus. Si Vestræ Excellentiæ alius modus in secreto conveniendi placuerit, ego et Dnus Collega meus ad obsequendum erimus paratissimi; particulariter vero ego manus deosculor et profiteor quod sim, Excellentiæ vestræ,
    « Hum. et dévot, servus,
    « CASP. BARO SCHMID, cancellarius.
    « Ex Ædibus, 17 novembri 1688. »
    Schmidt, resté fidèle à ses premières opinions, s’efforçait d’arriver à la neutralité. Kaunitz ne s’y trompa pas, et, malgré les protestations plus ou moins sincères du chancelier, récusa le plus souvent son intervention.