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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/795

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fallut faire des défenses publiques, dans le plat pays, de ne plus parler de l’approche de Français, craignant que la terreur ne commençât à faire fuir ces gens-là. Ceux qui viennent d’Ulm disent publiquement que si les troupes de Votre Majesté s’en approchent, on leur portera les clés. » Villars conseillait de prendre Ulm : « de là on peut faire contribuer une prodigieuse étendue du pays; » il engageait le roi à se hâter, l’électeur ayant 4,500 hommes au plus à opposer à ses armées.

Ce conseil ne fut pas suivi : on conservait des illusions à Versailles ; on espérait encore attirer l’électeur ou tout au moins obtenir sa neutralité et on ne voulait lui donner aucun prétexte de rupture. Le roi, ou plutôt Croissy, dans ses dépêches, multipliait les argumens, les propositions et les expédiens, faisant agir la dauphine, offrant à l’électeur d’être le médiateur de la paix entre la France et l’empire, l’appelant à la défense des intérêts catholiques menacés par l’entreprise du prince d’Orange en Angleterre et la ligue conclue à Magdebourg entre les princes protestans d’Allemagne : un jour, il lui offrait la main de l’infante de Portugal pour le prince Clément ; un autre jour, il proposait au prince de le reconnaître comme électeur de Cologne s’il consentait à laisser l’administration de ses états pendant quinze ans au cardinal de Fürstenberg contre l’abandon du tiers de leur revenu ; il invoquait tour à tour les intérêts de la maison de Bavière, ceux de l’empire, ceux de l’église, cherchant à démontrer qu’il les connaissait mieux que l’électeur, que l’empereur et le pape[1]. Tout fut inutile : la cavalerie de Feuquières s’était éloignée; remis de ses émotions, l’électeur ne se laissa pas toucher par l’éloquence de Villars et resta insensible à des propositions qui, sous leurs formes diverses et successivement atténuées, se ramenaient pourtant toutes à ces deux termes : l’abandon des droits de son frère et l’oubli de ses devoirs d’électeur. Il ne songea plus qu’à gagner du temps et à négocier avec l’Autriche aux conditions les plus avantageuses.

La cour de Vienne avait vu avec un grand déplaisir le retour de Villars à Munich ; elle lui attribuait toutes les difficultés qu’elle avait rencontrées auprès de l’électeur au printemps précédent et craignait le renouvellement des mêmes scènes. Elle ne se trompait qu’à demi : la présence de Villars ne pouvait pas modifier les intentions

  1. « L’électeur a dit, écrit Villars au roi, le 24 novembre, que tout l’empire était uni, que c’était une grande entreprise de vouloir se déclarer contre lui.., il me prie de croire qu’il fait tout le cas qu’il doit de l’honneur, de l’amitié de Votre Majesté ; mais que l’empire attaqué et l’élection légitime de son frère, que Votre Majesté ne veut point laisser tranquille, sont de très grands obstacles à faire ce qu’il avait résolu il y a trois semaines. »