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même à des vulgarités dont ceux-ci ont été mieux préservés. Mais ne devant rien qu’à ses propres efforts, il y gagnera, en revanche, un sens plus original, plus conforme au génie des contrées où son art a pris son essor et s’est développé.

Si lent que soit le progrès, les types raides et inertes que l’ignorance, bien plus encore que les conventions hiératiques, avait assignés aux figures sacrées vont insensiblement se transformer. La vie, avec ses acceptions les plus variées, animera ces images dont la piété des âges précédens s’était contentée et le portrait aura été la principale cause d’une rénovation si nécessaire. Voyez, en effet, auprès des saintes images offertes sur les autels aux prières des fidèles, ces personnages, de moindres dimensions, qui, de part et d’autre, se tiennent discrètement à l’écart et invoquent leur protection. Pour flatter l’amour-propre de ces donateurs et aussi pour faire montre de son talent, le peintre s’attachera de plus en plus à rendre leur ressemblance plus complète. À cette étude, son dessin deviendra plus exact, sa couleur plus vraie et son exécution sera serrée de plus près. Il ne lui suffira plus, comme autrefois, de retracer au-dessus de ces petits personnages leurs noms ou leurs blasons, ni même de reproduire, aussi fidèlement qu’il le peut, leurs visages, leurs attitudes et leurs costumes. Bientôt, afin de les faire mieux reconnaître, le château, le monastère, la ville où ils vivent, l’église à laquelle est destiné leur présent, prendront place à côté d’eux, et la contrée qui les entoure sera rendue avec l’aspect caractéristique de ses terrains, de ses cours d’eau, de sa végétation. En même temps qu’il fait ainsi honneur à ceux qui l’emploient, l’artiste étend le champ de ses études et, devenu plus exigeant pour lui-même, il ne néglige rien pour accroître son instruction. Aussi, sans parler de leur valeur propre, les œuvres de ces maîtres primitifs sont-elles précieuses pour les renseignemens sûrs et détaillés que déjà nous y pouvons recueillir sur l’architecture, les mœurs, et la manière de vivre de leur époque.

Bien que son domaine se soit ainsi agrandi, le peintre ne se résigne pas encore cependant à se renfermer dans ses limites. Il prétend s’affranchir de l’unité de temps et de l’unité de lieu que, par son essence même, son art est condamné à respecter. Loin de se contenter de la représentation d’un seul fait en un seul moment, il veut grouper, en les réunissant sur un même panneau, la succession d’épisodes divers qui se rapportent à un ou plusieurs sujets, et comme il ne se fie pas toujours à son talent pour se faire suffisamment comprendre, il recourt à des expédiens d’une naïveté puérile. Des inscriptions tracées sur des banderoles sortant de la bouche des personnages sont destinées à mettre le public au courant de paroles