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où ils ont été exécutés, c’est-à-dire vers la fin du XVe siècle, l’emploi de la peinture à l’huile s’était déjà tout à fait répandu et que l’artiste qui, avec les seules ressources de la miniature, a pu exécuter ces petites merveilles aurait certainement trouvé dans le procédé généralement adopté alors en Flandre des moyens d’expression bien plus puissans.


III.

Habiles comme ils l’étaient, les miniaturistes ont certainement exercé une grande influence sur le développement du talent des frères Van Eyck ; mais d’autres circonstances ont dû aussi favoriser ce développement. Bien qu’on n’ait pu recueillir aucune indication positive à cet égard, les deux frères appartenaient probablement à une famille d’artistes, puisque, comme eux, leur sœur Marguerite s’était adonnée à la peinture. De plus, la contrée où ils naquirent était alors une des plus riches de l’Europe et l’une des plus avancées sous le rapport de la civilisation. La proximité de Cologne et la facilité des relations avec cette ville leur avait sans doute permis de profiter des enseignemens d’une école déjà depuis longtemps célèbre et qui, au moment même où ils peignaient l’Adoration de l’Agneau, touchait à son apogée avec le Dombild, cet admirable chef-d’œuvre qui fait de maître Stephan, son auteur, l’émule de fra Beato Angelico et le devancier de Memling. À Liège, au service de l’évêque Jean de Bavière, et surtout à la cour de Bourgogne, où Philippe le Bon les avait appelés, les Van Eyck s’étaient bien vite placés à la tête des artistes nombreux que le luxe et le goût de cette cour élégante avaient attirés auprès d’elle. Enfin, à la mort d’Hubert, son aîné, Jean, alors dans toute sa maturité, avait pu, grâce à la mission dont son maître l’avait chargé (14 octobre 1428 à décembre 1429), passer une année entière en Portugal, visiter le midi de l’Espagne et se trouver ainsi en contact avec les sociétés les plus diverses. Rentré à Bruges pour s’y fixer, il y avait reçu des témoignages réitérés de l’affectueuse confiance dont l’honorait Philippe le Bon et quand, le 6 mai 1432, il exposait à Gand, dans une chapelle de l’église Saint-Jean, cette Adoration de l’Agneau, que son frère avait laissée à peine ébauchée et qu’il venait de terminer, ses contemporains saluaient en elle, d’une voix unanime, l’œuvre la plus accomplie que l’art du Nord eût produite jusque-là.