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Après avoir rappelé les diverses causes d’émulation ou de progrès que les Van Eyck ont rencontrées autour d’eux, est-il besoin d’ajouter que leur génie n’en est en rien diminué, que seul il peut expliquer une supériorité qui, de leur temps déjà, excitait ainsi l’admiration de tous et qui aujourd’hui encore demeure pour la critique l’objet d’un étonnement bien légitime[1] ? Il ne fallait pas moins, en effet, que ce génie pour réaliser, en les dépassant connue ils le firent, toutes les aspirations des âges précédens. L’emploi de l’huile dans la peinture était, il est vrai, depuis longtemps connu, quand ils songèrent eux-mêmes à y recourir, mais si peu pratiqué qu’on ne saurait, avant eux, citer un ouvrage de quelque valeur exécuté par ce procédé. Les premiers, ils firent valoir toutes ses ressources et se créèrent de toutes pièces une technique accomplie.

L’intelligence des Van Eyck se manifeste avec éclat par la manière dont ils ont compris leur art. L’abondance et la richesse des détails qu’ils introduisent dans leurs œuvres, loin de nuire à leur unité, ne sert jamais qu’à la faire mieux ressortir encore. L’homme reste le centre de cet art, mais l’infinie variété de ses types, de ses sentimens et de ses mœurs s’y déploie librement. Bien plus que dans les tableaux des écoles italiennes, la nature s’associe à son activité pour mieux en fixer le sens, pour ajouter à l’intérêt de sa vie celui du milieu où elle se passe. L’union ici est tellement intime qu’il est difficile de séparer, pour les étudier isolément, les élémens divers qui composent un ensemble aussi vaste et s’y font mutuellement valoir. Avec les Van Eyck, pour la première fois, dans l’histoire du paysage, on est amené à reconnaître que les plus grands maîtres de la peinture ont été le plus souvent aussi les plus grands paysagistes, car au lieu de rompre un accord qui est dans les choses elles-mêmes, ils ont su, au contraire, en exprimer plus éloquemment les harmonies. Aussi nous touchent-ils d’autant plus que, sans rester enfermés dans un genre spécial, ils nous présentent des aspects de la vie plus complets, et par conséquent plus intéressans pour nous.

Même, à ne parler que de la seule représentation de la nature telle que les Van Eyck l’ont entendue et réalisée, nous pourrons reconnaître

  1. Van Mander a peine à comprendre que de tels artistes « aient pu se produire d’une manière si éclatante à une époque si lointaine. » il parle de l’impression profonde causée par le retable de Gand. Les artistes accouraient en foule pour voir ce surprenant ouvrage, mais on ne le découvrait au public qu’aux jours de grande fête et il y avait alors une telle presse qu’on en pouvait difficilement approcher. (Le Livre des peintres de Carel van Mander, t. I, p. 34. Traduction avec notes et commentaires par M. Henri Hymans, 2 vol. in-4o ; J. Ronam, éditeur)