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LES
CLEFS DE LA BRUYÈRE

I. Œuvres de La Bruyère, nouvelle édition, par G. Servois (Collection des Grands Écrivains de la France, par Adolphe Régnier). — II. La Comédie de La Bruyère, par Édouard Fournier.

La Bruyère disait au début de son livre des Caractères : « Je rends au public ce qu’il m’a prêté ; j’ai emprunté de lui la matière de cet ouvrage ; il est juste que je lui en fasse la restitution. » Voulait-il dire par ces paroles qu’il avait observé les hommes et qu’il avait tiré de la matière de ses observations des portraits abstraits et des critiques générales, comme font tous les moralistes ? ou bien, au contraire, cherchait-il à faire entendre qu’il avait relevé tels traits particuliers à telles ou telles personnes et fait de son livre le miroir vivant de son temps ? A-t-il eu en vue des classes et des groupes, ou des individus ? On sait que, dès la première apparition des Caractères, la malignité publique se plut à mettre des noms sous les portraits, et La Bruyère lui-même protesta contre ces méchantes interprétations. Dans la préface de son Discours à l’Académie française, il se plaint qu’on l’ait pris pour un auteur qui cherche « à amuser par la satire et point du tout à instruire par la saine morale ; » que ses adversaires, « au lieu de faire servir à la correction de leurs mœurs les traits semés dans son ouvrage, » se soient appliqués seulement à découvrir « quels de leurs amis ou de leurs ennemis ces traits pouvaient regarder ; » qu’ils aient donné au public « de longues listes ou, comme ils les appellent, des clefs, fausses clefs inutiles autant qu’injurieuses aux personnes et à l’écrivain. » Il