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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/866

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III.

Nous laisserons de côté la manie des collectionneurs que La Bruyère s’est amusé à ridiculiser pour amuser son public, et qui suggèrent aux auteurs de clefs un certain nombre de noms inconnus et peu intéressans ; et nous terminerons cette étude par les deux classes d’allusions qui ont, je crois, le plus d’intérêt pour nous : les écrivains et les femmes.

Les allusions littéraires à des personnages connus sont fréquentes chez La Bruyère, et dans beaucoup de cas, d’une application certaine ou très probable. Par exemple, nul doute que la pensée suivante ne vise Racine et Boileau : « Quelques habiles prononcent eu faveur des anciens contre les modernes ; mais ils sont suspects et semblent juger en leur propre cause. » En elîot, Boileau dans ses Réflexion sur Longin, Racine dans sa préface d’Iphigénie, avaient pris position dans la fameuse querelle. Ils s’étaient déclarés contre Charles Perrault, le chef du parti des modernes. Il est bien probable aussi que c’est à Perrault lui-même que s’appliquent les deux pensées suivantes : «Un auteur moderne prouve que les anciens nous sont inférieurs en deux manières, par raison et par exemple : il tire la raison de son goût particulier et l’exemple de ses ouvrages. Il avoue que les anciens ont de beaux traits ; il les cite, et ils sont si beaux qu’ils font lire sa critique. » Cependant M. Servois fuit ici quelques objections sérieuses. Le second volume du Parallèle (1690), où Perrault cite les extraits des anciens, n’était pas paru lors de la quatrième édition des Caractères (1689), où se trouve déjà cette pensée. D’un autre côté, on ne voit pas trop comment Perrault aurait pu tirer de ses propres ouvrages des preuves de la supériorité des modernes sur les anciens. L’éditeur propose, en conséquence, Fontenelle ou Tassoni. Il nous semble néanmoins probable que La Bruyère s’est surtout, dans sa critique, préoccupé de trouver un trait final, sans regarder de trop près à la justesse de l’application ; et dans ce sens, c’était bien le chef des modernes qu’il devait avoir dans l’esprit. D’ailleurs, même dans le premier volume des Parallèles, n’y a-t-il pas déjà quelques beaux traits des anciens, cités par l’auteur?

A qui La Bruyère a-t-il pensé dans la maxime suivante : « Un homme ne chrétien et Français se trouve contraint dans la satire ; les grands sujets lui sont défendus; il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses qu’il relève par la beauté de son génie et de son style. » Les clefs ne donnent ici qu’une indication absurde, celle d’un certain Le Noble, auteur de pasquinades absolument inconnues. On a quelquefois pensé que La