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ce qui résulte du passage suivant : « Ils font plus ; violant les lois de l’Académie, qui défendent aux académiciens d’écrire ou de faire écrire contre leurs confrères, ils lâchèrent sur moi deux auteurs. » Les Théobaldes étaient donc de l’Académie et ne peuvent être que ceux que j’ai nommés. Il est ainsi certain que le point de départ de la querelle fut le discours de réception à l’Académie, et le portrait de Cydias n’est lui-même qu’une revanche contre l’article du Mercure. On sait d’ailleurs (et tout vient sans doute de là) que Fontenelle, soit comme partisan des modernes, soit comme neveu de Corneille, était ennemi de Racine et de Boileau ; et La Bruyère, au contraire, était leur ami et de leur camp littéraire.

Passons rapidement sur des allusions plus ou moins douteuses et qui n’auraient d’autre valeur que de nous rappeler quelques noms célèbres. Tout ce que dit La Bruyère sur le style épistolaire des femmes, « où ce sexe, dit-il, va plus loin que le nôtre, » sur cet art de trouver « des tours et des expressions » que les hommes n’atteignent qu’avec effort, sur l’art « de faire lire dans un seul mot tout un sentiment et de rendre délicatement une pensée délicate, » tout ce morceau s’appliquerait à merveille à Mme de Sévigné, si ses lettres eussent été connues à cette époque. Peut-être La Bruyère en a-t-il eu quelque communication; peut-être aussi parle-t-il d’une manière plus générale. Nous avons déjà cité plus haut un trait épigrammatique qui pourrait s’appliquer à Racine, si La Bruyère n’était pas son ami. On peut aussi considérer comme vraisemblable que La Bruyère a pensé à Bossuet lorsqu’il a dit : « Qu’a besoin Trophime d’être cardinal? » Cela ne voulait point dire que Bossuet eût désiré d’être cardinal sans y réussir, mais, au contraire, qu’il n’avait nullement besoin de ce titre pour être Bossuet, comme on le voit par ce qui précède : « Celui qui ne saurait être un Érasme doit penser à être évêque. » Enfin ce trait : « Un homme qui a du mérite et de l’esprit n’est pas laid » s’applique sûrement à Pellisson, et celui-ci à Mabillon : « Une personne humble qui est ensevelie dans le cabinet, qui a médité, cherché, consulté, confronté, lu et écrit pendant toute sa vie, est un homme docte, tandis qu’un pédant est un docteur. »

On peut rattacher à la littérature toutes les appréciations de La Bruyère sur les orateurs de la chaire. On sait que, sur ce domaine, son goût se rapproche beaucoup de celui de Fénelon. Il voulait une éloquence simple et unie, toute près des Écritures, et dépouillée de tous les artifices de la rhétorique et de l’éloquence. Plusieurs de ces allusions ont été rattachées à des orateurs du temps, par exemple celle-ci : « Jusqu’à ce qu’il revienne, dit-il, un homme qui, avec un style nourri des saintes Écritures, explique au peuple la parole divine, uniment et familièrement, les déclamateurs seront suivis. »