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tour de leurs lèvres une coupe minuscule remplie de café bouillant, ou bien un verre d’eau glacée avec de la neige des montagnes, et prenaient sincèrement en pitié la folie de cet homme d’Occident ignorant à son âge que les heures de l’après-midi sont faites pour la sieste.

C’étaient des sages. Je dus m’avouer bientôt que la philosophie contemplative de ces buveurs d’eau était la bonne, et, résolu en moi-même de surseoir à mon expédition, je ne demandai plus qu’un prétexte, dernière concession faite au respect humain.

Je parlementais avec ma conscience, les yeux fixés sur les travaux d’une nouvelle église, lorsque le ciel m’envoya inopinément du secours sous la forme d’un palikare étincelant de broderies, bardé de poignards et de pistolets :

Kal’iméra, kyrie (bonjour, monsieur).

— Tiens! c’est vous, mon brave?

Et je tendis la main à cet homme effrayant. Je venais de reconnaître le bon Alexabdros Anemoyanis, un vieux guide qui m’avait piloté autrefois à travers le Péloponèse.

Kai thorn pou pas? (Et où allez-vous donc comme cela?)

— Où je vais? Mais, j’avais l’intention de monter à l’Acropole, j’y renonce, puisque je vous rencontre, et si vous voulez accepter un verre de raki[1]...

Nous entrâmes dans un khani où je laissai mon guide me persuader sans peine qu’il fallait voir le Parthénon au clair de lune, par ces nuits incomparables du ciel de l’Attique qui font étinceler la mer comme un miroir d’argent sous le scintillement des étoiles, et non par la splendeur éblouissante d’un soleil de mai.

Entre autres choses, Alexandre me demanda mon avis sur l’église en construction devant laquelle nous nous étions rencontrés. La question m’était adressée dans une intention si évidente de recevoir des éloges que je n’en fus pas avare. Le meilleur moyen de rendre heureux un Hellène est de s’extasier d’abord sur les moindres choses de son pays. Ma complaisance fut récompensée sur-le-champ ; Anemoyanis me raconta l’histoire de cette église. Elle m’émut beaucoup. La voici :

A la place occupée par la construction moderne, s’élevait il y a quelques années une maisonnette au toit plat servant de terrasse. Les murs bâtis avec de la boue et du marbre, fragmens de colonnes, architraves, métopes, statues peut être, étaient soigneusement blanchis à la chaux et peints suivant la coutume de l’Orient. Auprès de la porte, sous une treille, on avait fait un banc d’un sarcophage antique.

  1. Eau-de-vie à l’anis très en usage sur les bords de la Méditerranée.