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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/888

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mais l’Aurore a beau, chaque matin, semer de roses les sentiers que parcourait autrefois le hardi chasseur, fils d’Erechthée, ce n’est plus en l’honneur des faux dieux que, chaque année, le jour de l’Ascension, les Athéniens se rendent en pèlerinage à la chapelle de Kæsariani. Pourtant si quelque jeune femme, impatiente d’avoir des enfans, s’indigne d’une trop longue attente, qu’elle vienne, ainsi que faisaient les païens, boire à la fontaine. L’année ne s’écoulera pas sans qu’elle ait la joie d’être mère. La chose est certaine, comme chacun sait en Attique, en Morée ou dans l’Archipel.

Yani et Zoïtsa s’étaient assis près de la source murmurante. Des platanes au tronc lisse supportaient, colonnes dignes du temple, le dôme séculaire de leurs branches. Les minces rayons que le soleil glissait par les trous du feuillage dessinaient sur le sable et la surface de l’eau de petits ronds lumineux qui tremblotaient comme les ailes de jolis papillons incertains où se poser, chaque fois qu’une brise légère agitait la cime des arbres où les tourterelles roucoulaient en faisant leur nid.

Au dehors, le ciel empourpré de clartés aveuglantes. Au dedans, la discrète lumière de l’alcôve que tamise un rideau voluptueusement tiré. Le printemps, le chant des oiseaux, l’ombre, la solitude, tout invite à l’amour.

Zoïtsa, inconsciente d’un sentiment nouveau qui se révèle, s’appuie avec plus de tendresse contre la poitrine de son mari et, confuse aussitôt sans savoir pourquoi, elle rougit. Mais lui la tient embrassée sur son cœur. Il couvre ses joues de baisers brûlans. Sa bouche murmure à son oreille des paroles qu’elle n’entend pas, mais qui la troublent. Elle ne peut retenir ses larmes et pourtant elle se sent heureuse...

Le soir, quand ils reprirent, sous le regard des étoiles, le chemin d’Athènes, Zoïtsa dit à son mari :

— J’ai bu à la fontaine et j’ai souhaité d’avoir un fils. C’est un péché peut-être ?

Yani était soucieux, il ne répondit pas.

Depuis que les parens adoptifs de Zoïtsa sont morts, un hiver déjà et un été se sont écoulés. L’anniversaire approche avec le nouvel an. La jeune femme, selon l’usage, va préparer pour les agapes funéraires l’orge bouillie, symbole d’immortalité, et les pains au miel incrustés de dragées, image des douceurs que goûtent les bienheureux.

Mais qu’a donc cette enfant? Ses grands yeux noirs sont entourés d’un cercle bleuâtre. Une langueur inconnue pèse, comme un fardeau, sur son corps frêle et débile. Ses lèvres sont pâles.