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UN DÉPARTEMENT FRANÇAIS.

teur indigène. Sous le regard bienveillant de deux ou trois magistrats à perruque, des armes anciennes gisent pêle-mêle à côté de fusils à pistons enlevés à la garde nationale. Quelques petits monstres enfermés dans des bocaux, des’ manuscrits de valeur inégale, des médailles romaines confondues avec des vieux sous du temps de Louis-Philippe, une bibliothèque de volumes dépareillés, rebut des châteaux voisins, complètent cette étrange collection, dont il serait difficile de dresser un catalogue satisfaisant.

Arrêtons-nous cependant à l’étage supérieur, où les tableaux sont un peu mieux classés. Les meilleurs sont contemporains de ces vieux hôtels dont nous avons admiré l’ordonnance. A cet heureux âge de grâce aisée et de pinceau facile, la médiocrité même savait se rendre supportable. Les bergers, les Amours aux contours amollis charment encore les yeux, tandis qu’à côté, semblables aux épaves du naufrage des ambitions, s’étalent les œuvres démesurées d’artistes modernes : presque toujours ce sont les fils du pays, les prodiges départementaux, qui, d’une aile imprudente, ont tenté de s’élever jusqu’aux cimes du grand art. Pour un talent qui perce, combien s’éteignent prématurément ou reviennent peupler les musées de province! On y rencontre de faux David qui n’ont que de l’emphase, de faux Géricault dont le pinceau est trempé dans l’encre, de faux Delacroix qui font du mélodrame. Paris ne saura jamais ce que coûtent ses jouissances. Sur ce point, la générosité de nos villes est inépuisable. A la moindre lueur de talent, elles expédient le futur grand homme à l’École des beaux-arts, paient sa pension, admirent naïvement ses productions. Quand l’échec est indiscutable, ces mères indulgentes restent seules convaincues du mérite de leurs fils et recueillent pieusement les reliques de ces martyrs de l’idéal.

Mais ce qui nous retient particulièrement, c’est une série de vieux tableaux et de gravures, à travers lesquels on peut suivre toutes les destinées de la ville. Voici d’abord une miniature du moyen âge, pleine de gaucherie dans la recherche de l’exactitude. Les clochers y prennent beaucoup de place et les remparts sont tracés dans tout leur développement, sans aucune perspective, comme sur un plan. Plus nette et plus précise sous le burin incisif de Callot, la silhouette connue domine tout un peuple de figures sveltes : des épées fanfaronnes relèvent des capes à l’espagnole. Un tableau plus ample représente une fête sous Louis XIV, à l’occasion de l’entrée d’un prince du sang. L’artiste, préoccupé de grandeur, a exagéré la perspective ; il donne à l’hôtel-de-ville les proportions d’un Versailles. Les peintres de cette époque trichent toujours avec la vérité ; ils lui mettent des talons et une perruque.