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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/900

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REVUE DES DEUX MONDES.

Si on leur demandait pour quel motif ils réclament avec tant d’insistance, du fond de leur province, la mairie centrale de Paris et en l’honneur de quel saint ils célèbrent, à grand renfort de petit bleu, l’anniversaire du 18 mars, ils seraient sans doute fort embarrassés. Toute leur joie est de contempler les figures effarées des badauds et déjouer, comme de vrais gamins, avec le feu !

Malgré tant de défauts qui agacent les nerfs, leurs actes sont plus raisonnables que leurs paroles. Tout n’est point à critiquer dans ces banquets un peu bruyans qui les réunissent périodiquement. Les retours des fanfares sont parfois pénibles, mais les départs sont magnifiques; et quand elles marchent bien en ordre avec leurs bannières frangées d’or et constellées de médailles, quand de braves gens, heureux de parader sous une coiffure militaire, se délassent du travail de la semaine en soufflant à pleins poumons dans leurs instrumens, bien sot qui s’en formaliserait. On peut rire tant qu’on voudra des sociétés de gymnastique, des sociétés chorales, des sociétés de tir et, en général, du penchant qui pousse les hommes à marcher au pas, musique en tête : mais c’est un bon emploi du dimanche. Nous aimons, quant à nous, à voir défiler ces guêtres de troupiers, ces ceintures multicolores et ces reins bien cambrés. Un de nos amis, qui s’est fait nommer capitaine de pompiers tout exprès, nous affirme que ces petites corporations ouvertes sont excellentes, qu’on les tourne aisément vers un but utile. Il a fondé, pour son compte, deux ou trois caisses de secours mutuels avec l’excédent des cotisations. Notre ami, qui est certainement un original, affirme que tous ces cerveaux subalternes sont en ébullition, qu’ils se débrouillent, que nous avons grand tort de ne pas les étudier de plus près. Depuis quatre ou cinq ans, la ville possède un nouveau groupe, d’intentions bien pacifiques : celui des « joyeux touristes du département. » Il se compose d’artisans et de petits employés. Les jours de congé, les «joyeux touristes » partent en bande pour faire des excursions pédestres aux environs. Ils dînent ensemble dans quelque auberge de village et rentrent le soir harassés et contens. Les uns cherchent des insectes et piquent triomphalement leurs trouvailles sur leur chapeau ; les autres portent une boîte verte pour herboriser. Ils ont, bien entendu, leur musique; au départ et au retour, dès l’aurore ou vers minuit, en passant devant les hôtels endormis, ils déchaînent leurs trombones, afin que nul n’en ignore. La vieille ville se frotte les yeux et ne reconnaît plus ses enfans. Et nous-mêmes, pour la plupart, ne sommes-nous pas fort étonnés, lorsque dans les cérémonies publiques, aux grandes funérailles par exemple, nous voyons sortir de terre ces milliers d’associations dont nous ne soupçonnions