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ministres fidèles. Mais ils n’ont point une assiette assez large dans le pays. L’armée qui les suit est toujours sur le point de les abandonner. Malheur surtout aux gouvernemens qui subissent leur redoutable tutelle ! Ils tombent successivement les uns sur les autres, étonnés de leur propre chute, parce qu’ils s’appuient sur des soutiens fragiles et qu’ils froissent la majorité du pays. Ce que les hommes supérieurs ont toujours su discerner chez nous, c’est le penchant du plus grand nombre pour les solutions moyennes et pour les gouvernemens réparateurs. Un vieux gentilhomme d’une rare impartialité nous disait dernièrement : « L’ennemi le plus redoutable du parti vainqueur sera toujours l’imprudent ami. Les hommes violons et bornés ont perdu, depuis 1789, toutes les combinaisons dont ils ont été les promoteurs. 11 en sera toujours de même. Henri IV et le premier consul ont pris la route contraire ; ils ont réussi. Louis XVHI aurait voulu suivre cet exemple : la faiblesse de sa santé et de son caractère ne le lui ont pas permis... Ne jamais s’engager sans réserve et suivre les plus modérés de son parti, puisqu’il faut en avoir un ; douter du lendemain et se souvenir de la veille, c’est l’unique moyen de bien servir et de se conserver. »

IV.

Mais le sentiment réel du pays ne se dégage qu’à la longue. Le jour du combat, on ne voit que des étendards déployés et des armées en présence. Les capitaines interrogent avec anxiété la carte politique du département. Ils marquent avec des épingles de diverses couleurs le théâtre des opérations. Ils ont leurs positions avancées, leurs lignes de défense, quelquefois un village jeté en avant, comme un îlot, au milieu des travaux ennemis : on doit lui porter secours, le ravitailler, dresser des mines et des contremines ; — et, pendant que la bataille se prépare, le brave laboureur, dont on escompte les faveurs, interroge le ciel et se demande s’il aura le temps d’engranger.

Le chef du parti radical, un ancien fonctionnaire aigri par des passe-droits qu’il qualifie de persécutions, est un personnage bilieux et maigre auquel son fiel remonte à la face. 11 compte beaucoup sur le journal à un sou, feuille-de-chou d’autant plus virulente et plus pernicieuse qu’elle est plus petite. Ainsi, dit Courier, l’acétate de morphine dans un verre d’eau rend malade, dans une cuillerée tue. Autour du chef s’agite, d’un air important, une tourbe de gens à mine de fouine, semeurs de mécontentement, déclassés, cabaretiers de bas étage. Il y en a au moins un ou deux pour chaque