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Quant aux bonapartistes, la discorde ne règne pas seulement parmi les chefs, elle se met aussi dans les troupes. Nous avons le bonapartiste bien élevé, ancien fonctionnaire de l’empire, qui, après avoir mûrement réfléchi sur le principe d’autorité, sent la nécessité d’une alliance avec tous les autoritaires, monarchistes ou cléricaux. Mais il y a le bonapartiste par tempérament, gros cultivateur ou négociant ; celui-ci déteste les blancs, redoute le gouvernement des curés, tient fermement aux conquêtes civiles de la révolution et demande un sauveur. Il n’est point facile, on le conçoit, de faire marcher tout ce monde d’accord et d’associer des nuances aussi contradictoires. Aussi la république a fait de nombreuses recrues dans les rangs inférieurs du parti, tandis que l’état-major va à confesse.

Le parti républicain n’est point assez riche de nuances, dans notre département, pour avoir un centre gauche. C’est un luxe qui n’est permis qu’à certains grands départemens voisins de Paris, qu’on pourrait comparer à des champs d’expérience politique. Ici, la nécessité de faire face aux influences monarchiques a groupé ensemble des républicains qui, au fond, ne s’entendent guère. Ils sont parvenus à constituer un comité central, composé principalement de quelques avocats du chef-lieu, de deux ou trois journalistes et de grands propriétaires ambitieux. Vainement le comité a tenu une séance de nuit : il n’a pu rédiger un programme satisfaisant. À chaque phrase, un membre demandait la parole et faisait des réserves. On a examiné longuement s’il ne serait pas possible, avec certains ménagemens de forme, de recommander à la fois la séparation de l’église et de l’état, et l’application loyale du concordat. On dut y renoncer. Finalement, on résolut de se présenter tous ensemble, la main dans la main, sans entrer dans de vaines explications. Comme il fallait cependant dire quelque chose, le comité enfanta, vers deux heures du matin, la déclaration suivante : Article 1er. Respect de la volonté nationale représentée par le suffrage universel. Art. 2. Développement progressif des institutions républicaines. Le rédacteur de la Vigie courut au journal et fit un tirage à part, en gros caractères, pour annoncer au monde cette importante découverte.

Le parti a prouvé tout au moins qu’il était capable de discipline. Mais sa grande erreur est de croire qu’on fait vivre un régime avec des formules de combat, et son désespoir est de n’en plus trouver. Cette manie militante exaspère les gens paisibles. Il n’est permis qu’au marbre de conserver éternellement la pose du Gladiateur combattant. Encore tous ceux qui admirent cette statue au Louvre, ne voudraient pas l’avoir dans leur jardin : ils se fatigueraient de cet effort perpétuel. De même, la France des paysans et des travailleurs dit aux républicains : Reposez-vous, asseyez-vous, de