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UN DÉPARTEMENT FRANÇAIS.

semblerait-elle pas le comble de l’absurdité ? Cependant la monarchie a vécu et nous a donné des jours glorieux. Tantôt les caprices du prince l’ont emporté, tantôt ils ont cédé au sentiment de sa dignité, ou fléchi devant les institutions qui l’entouraient comme autant de barrières ; et de toute cette fragilité on a fait un édifice qui a duré dix siècles. Notre nouveau maître, comme les anciens, subira l’ascendant des intérêts supérieurs de la patrie. Autrefois, le despotisme d’en haut rencontrait les remontrances des magistrats : aujourd’hui, celui d’en bas est contenu par la contradiction des partis. Il trouve un frein puissant dans une publicité sans limite, dans les sages lenteurs du système représentatif. Les hommes, au fond, ne changent guère, et il faudra toujours se donner beaucoup de mal pour exiruire de leurs passions, comme d’un grossier minerai, la pépite d’or du désintéressement. On se plaint aujourd’hui des déboires de la vie publique : Richelieu ne disait-il pas que vingt pieds carrés dans le cabinet du roi lui donnaient plus de besogne que l’Europe entière ?

En attendant que la république trouve des Richelieu, ou tout au moins des Lincoln, elle s’est imposé la tâche plus modeste de perfectionner l’organisation de ses cadres inférieurs. Le scrutin de liste n’a pas d’autre objet. Sans doute, il a fait concevoir, dans tous les partis, des espérances qui ne se réaliseront pas du premier coup. On a beau se tourner sur son lit pour appeler le sommeil, si on n’a pu chasser les soucis, le sommeil fuit. Le scrutin de liste ne nous débarrassera pas de nos petites misères : pendant longtemps encore, la liste se composera d’influences de clocher mises bout à bout. Les électeurs voteront-ils du moins en connaissance de cause ? C’est encore douteux. L’exemple des États-Unis prouve que le mot d’ordre des partis est suivi presque aveuglément. On pratique cependant là-bas le scrutin de liste à sa plus haute puissance, car on désigne par le même bulletin une quarantaine de mandataires pour les fonctions les plus différentes.

Ce qu’on peut espérer, non pour demain, mais à quinze ou vingt ans de date, c’est précisément la discipline qui nous manque. En admettant même que ce nouveau mode de consultation favorise le règne des politiciens, s’il force les députés à se concerter entre eux, s’il donne de la consistance au département, s’il introduit de l’unité et de la clarté dans les opinions en les inscrivant sur des écriteaux bien visibles ; en un mot, s’il forme de grands partis mieux pondérés, il nous aura rendu un service signalé. On pourra s’en défaire plus tard, lorsque le suffrage universel paraîtra suffisamment encadré. La liste unique fera-t-elle mieux encore ? Donnera-t-elle enfin quelque cohésion au parti conservateur ? Celui-ci apprendra-t-il à