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Il n’y a ni apparat, ni discours, ni musique ; seulement des gens qui passent, atterrés, ne trouvant rien à dire.

Dans les choses extérieures rien même qui s’associe à l’idée de la mort. Rien que deux couronnes de feuillage posées au pied de la dunette ; tout ce qu’un a pu trouver de plus vert dans ce pays nu : un peu de bambou et de tamarin, puis des branches prises aux arbres rares des pagodes, où sont piquées quelques petites pervenches du Cap roses, seules fleurs de Ma-Kung.

On aurait voulu le voir, lui, l’amiral ; mais il n’a pas été possible de l’exposer. Dans ce pays, la mort est trop immédiatement suivie de conséquences sinistres contre lesquelles il faut se précautionner à la hâte. Et le corps du chef est en bas, entre les mains des médecins occupés à une sombre besogne.

Alors c’est fini, on se sépare ; les canots accostent les uns après les autres et s’éloignent.

À midi, le Duguay-Trouin quitte la rade, s’en allant porter la nouvelle à Hong-Kong, d’où le télégraphe la transmettra à la France.


Trois heures du soir. — Les médecins ayant achevé leur œuvre, les commandans et les officiers qui sont revenus à bord du Bayard sont admis à regarder l’amiral une dernière fois.

Il est dans son salon, enveloppé d’un linceul et étendu à terre, formant une longueur blanche sur les tapis rouges. — Et on entre sur la pointe du pied pour contempler une minute ce visage très pâle, très calme, à peine changé ; ce front large où tant d’idées, tant de projets merveilleusement étudiés, classés, préparés pour l’avenir, viennent de s’éteindre à jamais.

Quand les officiers se retirent, il y a encore à la porte un groupe d’hommes qui prient qu’on les laisse entrer : ce sont tous les maîtres du bord qui veulent le voir.

Eux passés, il y a encore plus de monde à cette porte : cette fois ce sont les matelots qui attendent aussi leur tour comme une chose due. Alors il faut faire défiler, dans ce salon, tout l’équipage du vaisseau, et on voit se succéder lentement des centaines de jeunes figures consternées qui saluent, avec un respect timide, le grand mort.


Ensuite on le met dans son cercueil de plomb et de bois de camphre entouré de fer.