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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/948

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Momus, ou plutôt Regnard, a tenu parole, et je ne risque point de rencontrer dans ses comédies cette humanité qui abonde chez Molière.

À Dieu ne plaise que je compare les Folies amoureuses à l’Ecole des maris et à l’Ecole des femmes ! En vérité, ce ne serait pas de jeu. Mais Dans les Fourberies de Scapin et dans M. de Pourceaugnac, jusque dans ces farces, éclatent presque partout des caractères humains. Quand ce ne serait que le cri de Géronte : « Que diable allait-il faire dans cette galère !, » avec la proposition qui suit : « Il faut, Scapin, que tu ailles dire à ce Turc qu’il me renvoie mon fils et que tu te mettes à sa place jusqu’à ce que j’aie amassé la somme qu’il demande ; » — quand il n’y aurait que ces ouvertures données par Molière, elles suffiraient pour qu’on vît au travers une âme d’homme, — Et ce Pourceaugnac qui déclare : « Ce n’est pas tant la peur de la mort qui me fait fuir, que de ce qu’il est fâcheux à un gentilhomme d’être pendu ! » Et le médecin qui dit de lui : « On me l’a mis entre les mains, et il est obligé d’être mon malade ! » Et l’apothicaire, qui dit de ce médecin : « Voilà déjà trois de mes enfans, dont il m’a fait l’honneur de conduire la maladie, qui sont morts en moins de quatre jours, et qui, entre les mains d’un autre, auraient langui plus de trois mois ! » Tous ces farceurs, dans leurs farces, me découvrent le fond de l’homme : qui la vanité, qui l’égoïsme, qui la sottise, biens communaux dont je sais que je participe et dont je trouve que tel ou tel, mon voisin, a plus que sa part. Semblable accident ne m’arrivera pas si je regarde la gesticulation, si j’écoute le bruit des Ménechmes : ici je n’ai plus affaire à mes semblables. — Enfin, lorsque j’entends le Malade imaginaire répondre à sa servante, qui lui fait observer que, « sa fille n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un médecin pour mari, » lorsque je l’entends répondre : « C’est pour moi que je lui donne ce médecin, » — oh ! à ce coup, je reconnais mon prochain : Vox hominen sonat ! Cette seule phrase est comme un réflecteur d’où s’éclaire toute la comédie, et je vois combien de vérité celle-ci renferme, et, partant, combien de morale. Trouverai-je dans le Légataire par celle de l’une ou de l’autre ? C’est naïveté de le demander, maintenant que Laharpe n’est plus là pour me répondre : — il avait découvert que l’objet de cette pièce est de peindre les inconvéniens du célibat ; vénérons sa bonne volonté !

J’entends bien qu’aujourd’hui nous sommes tellement soûls d’observation ou plutôt de psychologie, — pour appeler du mot à la mode ce qu’on appelait jadis connaissance du cœur ; — nous sommes tellement gavés de cette science appliquée à toute la littérature ; nous sommes, au théâtre en particulier, si fatigués par des indigestions de morale qu’un ouvrage dénué de tout cela nous est un rafraîchissement bienvenu. Elle arrive à point pour nous plaire, une pièce vide comme une