bulle de savon, inutile comme une fleur ! Tant d’écrivains nous attachent aux réalités, et quelques-uns si grossièrement, que nous sommes prêts à remercier l’auteur dont la fantaisie nous emporte dans le rêve. Encore serait-il permis peut-être de rechercher dans quel rêve : si c’est dans le Songe d’une nuit d’été, ou dans l’hallucination qui suivrait d’aventure une soirée passée à la foire Saint-Germain ; si c’est l’Ile de Prospero où l’on m’enlève, ou si celle-là n’en diffère pas trop dont Crispin est l’Ariel. Il se peut au moins que mon plaisir plus ou moins vif en dépende. Vous me ravissez loin de cette terre ; à la bonne heure ! Mais n’est-ce que pour me transporter dans une sphère où quelque joyeux pitre se travestit avec impunité en gentilhomme campagnard, en dame de province, en moribond afin de détourner un héritage vers son maître ? Ajoutons que dans ce pays chimérique un frère peut, sans plus de périls, tendre des traquenards à son frère pour lui dérober un mariage et une succession. Mettons enfin que, dans cet eldorado, un galant a le droit d’emporter à la barbe d’un tuteur et sa pupille et sa bourse ; qu’une fille honnête a licence d’y prendre toute sorte de costumes, voire celui de dragon ; et que la jeunesse amoureuse y triomphe de la jalouse vieillesse au point de lui cracher au nez. Avec tout cela et sans rien de plus, il se pourrait que cette vision ne me parût que faiblement charmante, et que l’avantage d’avoir quitté ce monde-ci pour celui-là me semblât médiocre. Que ces jeux soient innocens, d’accord, mais je puis les trouver enfantins et m’apercevoir, à les regarder, que je ne suis plus un enfant. « Les Français ne sont plus gais, » écrivait Sainte-Beuve en 1852, au début d’un article sur Regnard ; et, pour ne rien forcer, il notait qu’ils le sont « de moins en moins. » On assure, en effet, qu’ils le sont moins encore aujourd’hui ; et peut-être, à mesure que le temps va, les hommes en général et ceux-ci en particulier acquièrent-ils des raisons de l’être moins toujours. Je ne serais donc pas surpris, après avoir examiné la fantaisie de Regnard et la qualité des objets où elle se porte, après m’être examiné moi-même, de découvrir que je ne suis plus assez gai pour qu’elle m’égaie.
Mais qu’on nous fasse grâce, à Regnard et à moi, de ce double examen ; il suffit que ses partisans tournent à son avantage la propriété qu’il a d’être vide, par la fatigue qu’ils éprouvent d’auteurs plus substantiels, et surtout par le dégoût de certains remplissages et par la crainte d’en retrouver de pareils. M. Weiss lui fait ces complimens qu’il est « tout en superficie,.. sans goût de réflexion,.. ni spéculatif, ni philosophe, ni censeur des mœurs, » et qu’il « eût donné volontiers toutes les finesses des moralistes et toute la métaphysique des passions pour un quartaut de condrieux. » Voilà des éloges pour un auteur comique ! Et pour le plus grand que nous ayons après Molière ! Sérieusement, il vaut mieux être vide que bourré de méchans