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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/961

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REVUE. — CHRONIQUE.

engageant les gouvernemens et il ne faudrait pas en exagérer l’importance. Les journaux allemands ont l’habitude de ces campagnes périodiques où ils portent autant de discipline que de violence et qui, en définitive, ne sont assez souvent que des explosions de circonstance sans lendemain. La vraie question serait de savoir ce que pense, ce que veut réellement celui de qui tout émane en Allemagne, celui qui sait se servir de tout, même de la presse, et dont les journaux, la Gazette de l’Allemagne du Nord en tête, sont chargés quelquefois de masquer ou de dévoiler à demi les calculs, de laisser entrevoir les impressions et les évolutions. Le chancelier allemand a-t-il voulu témoigner son ressentiment pour quelque mécompte, d’ailleurs peu important, qu’il aurait essuyé dans la poursuite de sa politique coloniale ? A-t-il voulu, au risque de faire sentir durement sa prépotence, avertir la France à la veille des élections, rudoyer les radicaux français au cas où ils seraient tentés de se créer une certaine popularité par des déclamations contre l’Allemagne ? Prépare-t-il quelque combinaison nouvelle, quelque évolution qu’il veut donner à pressentir, dont on verra plus tard les suites ? Il est certain que M. de Bismarck sait assez généralement ce qu’il fait, qu’il ne met pas les journaux en mouvement sans y être intéressé et qu’il ne parle pas ou ne laisse pas parler pour rien. Au fond, à y regarder de près, il ne serait pas impossible que cette campagne, aussi bruyante qu’imprévue, des journaux allemands, ne se liât à une phase de politique nouvelle, principalement caractérisée par une recrudescence de mauvaise humeur du chancelier à l’égard de la France et par un retour de l’Allemagne vers l’Angleterre.

Précisons un peu plus si l’on veut. Il y a eu, on n’en peut douter, depuis quelque temps, sous le dernier cabinet, il y a eu, au moins sur quelques points de politique européenne, entre Paris et Berlin, un certain rapprochement, un certain désir de bon accord, qui pouvait sans doute avoir ses avantages, qui malheureusement aussi reposait sur une dangereuse équivoque. Assurément la France n’est nullement tourmentée de ces passions belliqueuses que lui attribuent les journaux allemands. On pourrait dire que, par ses instincts, par ses sentimens, elle est aujourd’hui une des nations les plus pacifiques. Elle est même parfaitement disposée, autant que sa situation le lui permet, à n’avoir que des rapports rassurans, réguliers avec l’Allemagne, parce qu’un grand pays ne peut pas se réduire à une politique d’isolement, d’amertumes stériles, et d’éternelles récriminations. La France est sans bouderie et sans impatience avec tous ceux qui travaillent pour la paix, qui veulent venir en aide à ce qui reste de l’équilibre européen ; mais il est bien clair aussi qu’en restant correcte et loyale dans ses relations, elle a le droit de garder, avec l’indépendance de