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les caprices du vent. Si le golfe de l’Arta était jamais rempli de canonnières et de torpilleurs, je ne conseillerais pas à nos cuirassés d’aller les y chercher : je leur conseillerais encore moins de s’engager, comme la grande Armada, au milieu des bancs de la côte de Flandre.

Les écrivains ottomans ont prétendu que l’annonce de l’arrivée de Barberousse à Prévésa suffit pour jeter le trouble dans l’armée chrétienne. « Beaucoup de capitaines, assurent-ils, opinaient pour retourner dans leur pays. » Voilà bien un frappant exemple des illusions de l’orgueil national ! Loin d’être découragés, les chrétiens, au contraire, se réjouissaient tous de tenir enfin la flotte du sultan à leur portée. S’ils éprouvaient quelque crainte, c’était celle d’imposer tellement à Barberousse, que ce vieux corsaire, se refusant obstinément à sortir de son immobilité, restât sourd à toutes les provocations. Que faire alors ? Passer outre ? Aller assiéger Patras et Lépante ? Pour protéger ces deux places, la flotte ottomane se résoudrait peut-être à oublier son infériorité numérique et à courir les risques d’un combat.

Le 22 septembre, l’amiral de Charles-Quint, rallié par ses dernières naves, prescrit aux galères de s’approvisionner d’eau, de bois, de vivres frais ; le 25, au son de la trompette du commandant en chef, les 200 voiles lèvent l’ancre et se livrent au vent qui les emporte rapidement vers le sud. Grimani conduit l’avant-garde des galères ; Doria se tient au centre ; Vincenzo Cappello, avec les Vénitiens, ferme la marche. Formées en deux escadres, rangées sur deux colonnes, les naves suivent les galères en route libre : le galion de Condulmiero, — toute une escadre à lui seul, — les précède.

De la rade de Corfou à l’entrée du golfe de l’Arta, la distance est de 55 ou 60 milles. Le soir même, la flotte jette le fer sous le cap de Prévésa : le galion, qui sert aux autres naves de pivot et de guide, a mouillé par 18 pieds d’eau. C’est à peine assez d’eau pour flotter : n’avons-nous pas nous-mêmes mouillé devant Kinbourn avec 1 pied d’eau sous la quille ? Une barre, sur laquelle la profondeur varie de 2 à A mètres, interdit aux naves l’accès de l’immense baie où toutes les flottes de l’univers trouveraient place. Le golfe de l’Arta est, comme l’étang de Berre, un bassin dont il suffirait de dégager l’entrée pour en faire une mer intérieure. La sonde y descend jusqu’à 30, 40 et 60 mètres au-dessous de la surface ; le vaste enfoncement se creuse dans la direction de l’est jusqu’à près de 20 milles de la bouche d’un chenal large à peine de deux ou trois encablures. Quant au mouillage extérieur, il est sans abri contre les