Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dissimulait pas les dangers, a rassemblé une dernière fois ses capitaines : « Que chacun de vous, dit-il à ces vieux marins dont plus d’un fut le compagnon de ses premières croisières, mette son vaisseau en ligne. Je n’ai qu’un seul ordre à vous donner : suivez des yeux ma manœuvre et sur mes mouvemens réglez les vôtres. » Entre fustes, brigantins, galiotes et galères, les Ottomans réunissaient, en ce moment, 140 voiles. Ils s’étaient, suivant la coutume, partagés en trois escadres. Les premiers rayons du soleil montrent cette multitude de vaisseaux, cette armée accourant les voiles gonflées, aux vigies de la flotte chrétienne. Doria prétendait attirer à sa suite l’armée de Barberousse : il ne s’attendait pas à voir si promptement ses vœux réalisés. Le terrain sur lequel l’impatience de son adversaire l’appelle à combattre n’est pas celui qu’il cherchait. Livrer bataille sur une côte sans refuge, où la moindre tempête sera bien plus à craindre que le canon de l’ennemi, n’a rien qui puisse séduire un chef doué de quoique prévoyance. On comprendra qu’en proie à cette préoccupation dominante, Doria ait hésité trois heures à se porter au-devant de l’ennemi. La pression de l’opinion publique, la fougue belliqueuse de Vincenzo Cappello et de Grimani, finirent par l’emporter. Doria donne à regret l’ordre de lever l’ancre et de se diriger vers le nord. Il comptait être rallié en route par le galion de Condulmiero et par les autres naves attardées : le galion, au moment où il passait sous le cap Zuana, promontoire abrupt formé par une grosse éminence, tombe tout à coup en calme. Il était alors à environ 4 milles de la terre ferme, 9 de l’entrée de Prévésa qui lui restait à peu près au nord-est, 10 du mouillage de la Sessola, dans la direction du sud-sud-ouest. L’énorme masse, abandonnée par le vent, s’arrêta brusquement sur place et demeura immobile comme une tour. Condulmiero détache sur-le-champ, vers Doria, la frégate légère qui lui sert de chaloupe. Il demande des ordres et du secours. « Commencez toujours le combat, lui fait répondre l’amiral, vous ne tarderez pas à être soutenu. » Pauvre Duilio ! que pourra-t-il faire contre tant de torpilleurs ? Les Turcs, au fur et à mesure que leurs vaisseaux dépassent la limite des hauts-fonds, se déploient avec une précision qui fait honneur à leur habileté pratique ; ils se déploient sur une seule ligne légèrement concave, sur une ligne affectant à dessein ou par un désordre involontaire, la forme d’un croissant. En avant marchaient 16 grosses fustes commandées par Dragut. La fuste est, comme la galiote et le brigantin, une galère de moindre échantillon. L’aile gauche serre la terre. Le but que se propose d’atteindre Barberousse est évident : le rusé corsaire veut envelopper les naves retenues