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se faire un rempart des cuirassés. Une force homogène et agile, semblable à celle qui, le 27 septembre 1538, se serrait autour de Barberousse, réunira généralement des conditions de combat meilleures que cet assemblage hétéroclite de gros et de petits navires, où la différence des tempéramens constitue ce que j’appellerai une union mal assortie. La combinaison demeure encore possible dans les mers profondes, sur les côtes où le rivage a de vives arêtes et ne recèle pas de surprises : ne vous y fiez point dans le bassin qui a vu détruire la Grande Armada. Plus les progrès de la marine nouvelle s’accentuent, plus son avenir, récemment indécis, se dessine, plus je me sens porté à espérer qu’il ne faudra pas attendre cent ans, comme je le prophétisais en 1882, pour que « Poissy soit devenu le grand arsenal maritime de la France. » Approfondir autant que possible les voies intérieures par lesquelles nous avons mis en communication la Méditerranée et la Manche, diminuer en même temps par un effort continu, par des recherches que rien ne décourage, le tirant d’eau de la flotte, tel fut, il y a bien des années déjà, mon programme : l’étude de la bataille de Prévésa m’apporterait au besoin, pour le soutenir, de nouveaux argumens.

Une opinion dont je tiens très grand compte et dans laquelle je ne serais pas éloigné de reconnaître les tendances de ma propre pensée, résumait récemment à mon usage les coûteuses nécessités de l’époque. « Le cuirassé, m’écrivait-on, et le torpilleur ont besoin l’un de l’autre, et nous avons besoin des deux. » Oui, nous avons besoin des deux, parce que, dans la Méditerranée, nous trouvons en cours d’exécution une flotte cuirassée formidable, et, dans les mers du Nord, des flottilles contre lesquelles nos cuirassés nous défendraient mal. Les politiques heureusement en savent plus long que nous : ils savent de quel côté notre sécurité est complète, sur quel flanc, au contraire, il faut nous prémunir. C’est à eux, ce n’est pas à nous marins, qu’il faut demander le mot d’ordre quand on veut arrêter la constitution de notre flotte. Si nous ne sommes pas devenus, — comme on serait vraiment tenté de le croire à entendre certains alarmistes, — si nous ne sommes pas devenus les ennemis du genre humain, nous devons pouvoir faire un choix ; nous devons pressentir à certains indices sur quels points spéciaux il convient de porter nos premiers efforts. La marine cuirassée ne s’improvise pas ; nous l’avons vue mettre huit ou dix ans à se grossir de quelques unités. Comprenons, excusons, partageons même dans une certaine mesure la sollicitude inquiète qu’elle inspire. Les flottilles viennent plus aisément au jour : est-ce une raison suffisante pour en ajourner indéfiniment la création ? Ceux qui doivent en commander les infimes et multiples éléments