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conséquent, ne se rapportent à la casuistique, mais à la matière de la grâce et à la question du jansénisme. N’altère-t-on pas sensiblement, ou plutôt ne mutile-t-on pas, si je puis ainsi dire, les vraies intentions de Pascal quand on réduit les Provinciales à ce qu’elles contiennent sur le sujet de la morale facile ? Et ne conviendrait-il pas, dans les appréciations que l’on en fait, ou dans les idées que l’on en donne, d’oublier un peu moins le premier dessein de Pascal et de ses amis jansénistes ?

Si l’on pense que ces questions ne sont pas de tant d’importance, en voici de plus considérables. Il nous faudrait, en premier lieu, des renseignemens plus précis sur la valeur des travaux scientifiques de Pascal. Condorcet, dans un Éloge qui n’en est pas un, mais qui n’est pas aussi ridicule de tous points qu’on l’a dit, et Bossiit, dans son Discours sur la vie et les œuvres de Pascal, sont également insuffisans. Par exemple, sur la parole du dernier, tout le monde a répété, répète encore, que Pascal serait l’inventeur du hoquet et de la brouette, et de là, Sainte-Beuve lui-même, trop ingénieux, a tiré des conséquences. De qui cependant Bossuet tenait-il ce renseignement ? Il a bien voulu nous l’apprendre ; il le tenait de M. Le Roi, de l’Académie des sciences, lequel, à son tour, le tenait de M. Julien Le Roi, son père. Voilà bien des intermédiaires, peut-être ; et encore que la gloire scientifique de Pascal ne dépende pas d’une invention de plus ou de moins en ce genre, c’est pourtant une question qu’il conviendrait d’examiner à nouveau. Pareillement, la question des rapports de Descartes avec Pascal. Si nous en croyons M. Nourrisson, et M. Nourrisson n’est pas le premier qui le dise, c’est à Descartes que Pascal aurait dû l’idée de la fameuse expérience du puy de Dôme. Mais M. Nourrisson est-il bien compétent ? et, pour nous qui le sommes encore moins que lui, des on-dit, des fragmens de lettres, une longue dissertation sur le plein, sur le vide, et sur le plein du vide, suffisent-ils pour fermer le débat ? Descartes, jaloux de Pascal, lui a-t-il indûment contesté ses droits ? Ou Pascal, qui n’aimait pas Descartes, l’a-t-il frustré d’une vraie découverte ? C’est l’opinion, le jugement motivé d’un savant qu’il nous faudrait ici L’avons-nous quelque part ? Je voudrais le savoir, et c’était à M. Nourrisson de me l’apprendre.

Autre question encore, plus générale : à quel rang ses inventions placent-elles Pascal dans l’histoire de la science ? Pascal est un « géomètre, » et un « cœur passionné ; » je puis étudier « le cœur passionné » dans ses Provinciales elles-mêmes et dans ses Pensées, y mesurer l’ardeur et la violence de la passion, en reconnaître la nature et le vrai caractère. Je voudrais savoir où trouver le « géomètre ; » et, pour cela, qu’un géomètre se fût une fois chargé, non pas, comme on l’a fait si souvent, de me donner une idée de la roulette ou du triangle arithmétique : je la puis prendre aussi bien dans les écrits originaux