Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/209

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dit, « le souvenir amer de ce rêve évanoui. » C’est la grande nouveauté de l’Introduction de M. Derome aux Œuvres de Pascal ; et, pour preuve, il en apporte une note « jusqu’ici presque inaperçue, » que Nicole a mise en tête des trois Discours de Pascal sur la condition des grands. « Une des choses sur lesquelles feu M. Pascal avait le plus de vue, dit en effet Nicole, c’était l’éducation d’un prince… On lui a souvent entendu dire qu’il n’y avait rien à quoi il désirât plus de contribuer, s’il y était engagé, et qu’il sacrifierait volontiers sa vie pour une chose si importante. » M. Derome en conclut que Pascal, dans sa vie mondaine, avait dû proposer ce but à son ambition. C’est une supposition et, si l’on le veut, on peut s’y arrêter. Il est vrai que l’on ne voit pas bien de quel prince Pascal eût pu songer à faire l’éducation ; que Nicole ne dit point que Pascal eût « une vue » sur cet objet, mais bien « des vues » sur le sujet, ce qui n’est pas tout à fait la même chose ; et qu’enfin, cette note a jusqu’ici presque inaperçue, » M. Floquet, en l’altérant sensiblement, ne l’avait pas moins citée dans un livre assez connu sur Bossuet, précepteur du dauphin. Mais peut-être, après cela, les biographes de Pascal ne l’avaient-il point mise en assez belle place ; ou même n’avaient-ils point tiré toutes les conséquences des préoccupations qu’elle semble révéler chez Pascal. N’essayons donc point, avec M. Derome, de nous représenter un Pascal précepteur de Louis XIV ou de Monsieur, encore moins un Pascal conseiller d’état ou ministre ; mais accordons que Pascal adonné aux choses de la politique une attention plus active, plus constante, plus passionnée qu’on ne le croit généralement.

Il y a plus à dire de la vie de Pascal que de ses Provinciales, et il y a plus à dire de ses Pensées que de sa vie. Mais je voudrais bien avant tout que l’on renonçât désormais à refaire le livre inachevé dont les Pensées ne sont que les fragmens. Car si je sais, comme tout le monde, que Pascal avait formé le projet d’écrire une Apologie de la religion chrétienne, j’ignore quel en était le plan, et tous ceux qui, depuis un demi-siècle, l’ont prétendu rétablir, n’en savent pas plus que moi. On l’a dit bien des fois, mais il faut le redire encore et ne s’en point lasser : ce ne sont ici que des notes, et dans la confusion desquelles nous ne saurions seulement discerner celles qui se rapportaient ou ne se rapportaient pas au dessein de l’Apologie. Dans le même avant-propos où Nicole nous a parlé des vues de Pascal sur l’éducation d’un prince, il s’étonne que, parmi les papiers de Pascal, on n’ait rien trouvé qui « regardât expressément cette matière. » Si l’on y eût cependant trouvé quelque chose, nous ne serions pas incapables de prendre les notes de Pascal sur l’éducation d’un prince pour autant de fragmens de l’Apologie de la Religion. Considérez plutôt l’étrange diversité des arrangemens les plus récens qu’on en ait proposés. Celui-ci nous soutient que