Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Chine ? Ici tout était certainement plus sérieux. On sentait que ce n’était pas un spectacle comme tous les autres, que si, dans la foule réunie à ces cérémonies, il y avait toujours quelque curiosité, il y avait aussi une émotion sincère, instinctive. L’éclat et le bruit n’excluaient pas un certain recueillement qu’on n’a guère vu à d’autres inaugurations, à d’autres cérémonies de ce genre. Et à quoi tient cette différence ? C’est que ces deux hommes honorés d’une commémoration nationale ont été, de l’aveu de tous, de grands serviteurs publics qui ont payé de leur personne, qui n’ont jamais marchandé ni leur sang ni leurs peines, qui ont porté fièrement le drapeau devant l’ennemi, et que le sentiment populaire, si facile à égarer qu’il soit quelquefois, ne confond pas ceux qui ont dévoué leur vie à la France et ceux qui n’ont été que des hommes de parti, même quelquefois de coterie.

On aura beau faire, des soldats qui ont cent fois risqué leur vie pour leur pays, qui n’ont jamais compté avec le péril, auront toujours le respect du peuple et remueront la fibre française autrement qu’un vulgaire tribun à qui on dressera une statue sur quelque carrefour. Le général Chanzy a, depuis quelques jours, son monument, autour duquel se sont retrouvés quelques-uns de ses anciens lieutenans de la deuxième armée de la Loire, les Jauréguiberry, les Jaurès, et, à dire la vérité, on peut se demander pourquoi ce monument, qui était bien dû au vaillant soldat, a été précisément élevé au Mans. Sa vraie place était plutôt dans les lignes de Josnes, là où l’intrépide capitaine, brusquement livré à lui-même, avec une armée en déroute, arrêtait, par cinq jours de combat, l’invasion ennemie. Là le monument aurait eu sa vraie signification ; il aurait représenté, sur le terrain même de la lutte, la résistance de l’héroïsme impassible devant le danger.

Ce qu’on peut avoir la pensée d’honorer, ce n’est point un victorieux dans la fatale guerre ; Chanzy n’a point gagné de victoires, quoiqu’il eût mérité d’en gagner. La campagne de ce terrible temps n’a été qu’une longue et savante retraite, entrecoupée de sanglans combats, de la Loire jusque sur la Mayenne, en passant par Le Mans, où se livrait une nouvelle et dernière bataille qui n’était qu’une défaite de plus ; mais ce qui l’a caractérisé dans cette campagne, ce qui était digne d’être consacré, c’est justement cette indomptable fermeté dont il donnait le premier et éclatant exemple à Josnes ; c’est la vivace et inépuisable énergie du chef inaccessible au découragement et ingénieux à se créer des ressources, à se refaire une armée avec des débris, avec des conscrits, toujours prêt à recommencer, envoyant des conseils qui n’étaient pas écoutés et continuant à se battre sans récriminations inutiles, refusant jusqu’au bout de désespérer, même quand il n’y avait plus d’espérance possible. Inconnu encore à la veille de la guerre, le général que le maréchal de Mac-Mahon avait eu l’heureuse inspiration de signaler à la défense nationale se révélait, en quelques