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Cyprien devenu évêque, il y en a une adressée à un autre évêque, Pupianus. Elle répond à une lettre que ce Pupianus lui-même avait écrite (nous ne l’avons pas). Il y condamnait Cyprien (j’entrerai plus tard dans ces débats), et pour mieux marquer qu’il ne le regardait plus comme chrétien, il affectait de l’appeler Thascius. Cyprien, à son tour, s’exprime ainsi en tête de sa réponse : « Cyprien, autrement Thascius, à Florentius, autrement Pupianus. » Pupianus avait donc aussi un nom pour l’église et un pour le monde.

La conversion de Cyprien fut une transformation complète de l’homme. D’abord et avant tout, il s’obligea à la continence ; et les réflexions que fait à ce sujet le diacre Pontius, qui nous a raconté sa vie, témoignent que cela excita un étonnement universel[1]. Lui-même le dit dans un de ses écrits (Ad Donatum, 4). Il avait eu évidemment des passions aussi vives que celles de saint Augustin, mais il ne nous les a pas comme lui racontées. Ses ennemis ne l’oublièrent pas et ne le laissèrent pas oublier. On admira sa conversion au moment même ; plus tard on lui reprocha ses péchés.

Il n’étonna pas moins sans doute en vendant tous ses biens, à ce que nous dit Pontius, pour en distribuer le prix aux pauvres. On verra cependant plus loin qu’on ne sait trop ce qu’il faut penser de ce renoncement.

À peine baptisé, il fut un personnage dans son église ; il fut admis tout de suite parmi les anciens, et presque tout de suite encore, le siège de Cartnage ayant vaqué, il devint évêque[2].

  1. « Quis unquam tanti miraculi meminit ? » Pontius a écrit sa Vie, trop en abrégé malheureusement.
  2. Je dois donner ici une explication qui servira pour toute cette étude. L’église latine a aujourd’hui deux mots que nous traduisons également par prêtre, et qui sont devenus synonymes ; mais au IIIe siècle ils ne l’étaient pas : c’est presbyter et sacerdos. Presbyter est un mot grec qui veut dire ancien. Les anciens étaient les premiers personnages de la communauté, associés au gouvernement de l’évêque et composant son conseil. Le presbyter paraît plusieurs fois dans le Nouveau-Testament, mais il n’y est jamais appelé sacerdos, et ce dernier nom ne s’y applique qu’au sacrificateur des juifs, en hébreu le cohen.

    L’Épitre aux Hébreux, faussement attribuée à Paul, et qui est absolument à part dans le Nouveau-Testament, a fait de ce titre juif un mot chrétien. Ce livre enseigne que le sacrificateur juif, dont il rend le nom indifféremment par ἱερεύς (hiereus) ou ἀρχιερεύς (archiereus), n’est que la figure du Christ, et que les sacrifices juifs n’étaient aussi que la figure du grand sacrifice que le Christ a offert sur la croix. Il a introduit ainsi dans l’église l’usage d’appeler sacrifice l’offrande du corps et du sang du Christ, représentés par les symboles du pain et du vin. Or c’était l’évêque qui offrait ce sacrifice ; on fut conduit ainsi à appliquer à l’évêque, en latin, les noms de sacerdos et de pontifex, par lesquels la Vulgate traduit ἱερεύς (hiereus) et ἀρχιερεύς (archiereus).

    Mais les presbyteri n’offraient pas le sacrifice. Peut-être le faisaient-ils dans les cachots, en temps de persécution, comme semble l’indiquer un passage de Cyprien (Lettre 5) ; mais s’ils l’ont fait, ce qui n’est pas évident, c’était comme délégués de l’évêque et en son nom, et il en était encore ainsi du temps du pape Celasius, tout à la fin du Ve siècle (d’après un texte cité par Du Cange, au mot Sacerdos). L’appellation de sacerdos appartenait donc exclusivement à l’évêque ; et, ni au IIIe ni même au IVe siècle, on ne la trouve une seule fois appliquée à un presbyter. Le titre du livre de Jean le Chrysostome, Du Sacerdoce Περὶ Ἱερωσύνης (Peri Hierôsunes), signifie : De l’Episcopat. Il faut donc se garder avec soin, quand on s’occupe de cette époque, d’assimiler les deux termes de presbyter et de sacerdos, dont l’un exclut l’autre. J’ai traduit constamment presbyter par ancien et sacerdos par Prêtre (quoiqu’il se trouve que le mot prêtre vient étymologiquement de presbyter).

    Il est probable qu’une autre raison que celle que j’ai dite a contribué à faire attribuer aux évêques les noms de sacerdotes ou pontifices. C’est que les chrétiens étaient bien aises de leur donner des titres qui ne parussent pas moins imposans que ceux des ministres des dieux romains.