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sées. Que l’on consente à voir dans le fils d’Alexandre VI un homme de génie, le prince de Machiavel, ou qu’au contraire on pense avec F. Gregorovius, le célèbre auteur de l’Histoire de la ville de Rome au moyen âge, que c’est une tâche à la mémoire du fondateur de la science politique d’avoir fait d’un sanglant aventurier une sorte de « messie de l’Italie, » il sera difficile de nier que la conquête des Romagnes n’ait eu pour résultat, sous Jules II, la constitution du domaine temporel de l’église. Tout document qui accuserait chez César, encore cardinal de Valence, la préméditation de ses vastes desseins et son ambition prématurée, prendrait donc une incontestable importance aux yeux des historiens. C’est l’intérêt spécial que présente la « reine des épées » conservée dans les archives des Gaetani.

I.

Le chef de la famille Gaetani, le duc de Sermoneta, appelait de ses vœux l’écrivain qui assumerait la tâche d’écrire les fastes de l’arme dont il se plaisait à faire les honneurs ; et ceux qui ont eu la bonne fortune de l’entendre décrire les compositions gravées sur la lame (comme si, dans la nuit éternelle où ils étaient plongés, ses yeux pouvaient encore les distinguer), ont gardé un vif souvenir du monument lui-même, et du juvénile enthousiasme de l’illustre vieillard. Perdue jusqu’en 1754, cette épée a son histoire, curieuse, et attestée par des documens. Un article de la Nuova Antologin de Rome, publié en 1880 par l’honorable M. Ademollo, sous le titre : la Famille et l’Hérédité de l’abbé Galiani, en a révélé l’existence aux mains du célèbre auteur des Dialogues sur le commerce des blés. Depuis, la découverte de l’original du testament de Galiani dans les archives de Naples a complété les renseignemens, en nous apprenant comment, de ses mains, l’arme précieuse est venue à celles des Gaetani.

On ne s’attendait guère à voir le nom de Galiani associé à celui de César ; mais il faut se rappeler que l’ancien secrétaire de l’ambassade de Naples à Paris était un collectionneur passionné. La publication, par MM. Lucien Perey et Gaston Maugras, des lettres de Galiani confirme les faits avancés par M. Ademollo, et montre avec quelle passion l’amateur italien décrit les pièces qu’il vient d’acquérir, les signale à ses amis de France et les pousse à obtenir pour lui celles qui vont passer dans les ventes. « Je suis fort occupé, dit-il à Mme d’Épinay, dans une lettre datée du M’août, à rechercher quelques notes concernant la vie du duc de Valentinois, César Borgia, par une raison fort bizarre. Je devrais en composer une brochure pour la dédier au pape. »