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auquel donnait droit l’apanage. Ces intentions sont consignées dans une lettre conservée dans les archives privées de la famille, lettre écrite en 1788 par un Gaetani à l’historien Cancellieri ; à l’heure présente, elles font encore tout le prix du monument aux yeux de ceux qui ont voulu l’acquérir. On en eut une preuve singulière, il y a plus de vingt ans, dans une de ces fêtes où les Italiens associent volontiers à leurs divertissemens les grands souvenirs de leur passé brillant et tourmenté. Dans un ricevimento au palais Gaetani, un jour où on donnait aux invités le spectacle de « tableaux vivans, » on vit apparaître, sous les traits de la propre fille du duc de Sermeneta, l’allégorie de la Justice tenant en mains la balance et le glaive. Dans cette assemblée d’élite où figuraient des Colonna, des descendans des Orsini et des Vitelleschi, courut un long frémissement quand on apprit que le glaive porté par la fille de Gaetani (aujourd’hui l’une des femmes les plus distinguées de l’aristocratie romaine) n’était autre que le propre glaive de Borgia. Cet « écho mondain » a été enregistré par M. Ademollo dans la Fanfulla de Rome. « A la suite de cette fête, ajoute l’honorable écrivain, l’épée du fils du pape Alexandre VI fut plus célèbre en Italie que si on l’eût publiquement exposée dans un musée. »

Nous n’essaierons point d’interpréter les emblèmes et de commenter les inscriptions gravés sur la lame de l’épée de César : M. E. Alvisi, l’écrivain consciencieux auquel on doit une étude sur Borgia, duc des Romagnes, en a tenu compte ; et F. Gregorovius, qui a su tirer un si grand parti des riches archives des Gaetani, a consacré dans les termes suivans l’importance historique du monument : « César était entré avec répugnance dans les ordres sacrés,.. le duc de Sermoneta possède une épée ornée de compositions pleines d’allusions au César antique, qui font comprendre quelles idées bouillonnaient dans le cerveau du cardinal. » Il nous suffira de constater que, voué à l’église, cardinal de Valence, chargé, le 10 août 1497, de représenter le saint-siège au couronnement du roi de Naples, Frédéric d’Aragon, le fils d’Alexandre VI, au lieu de s’inspirer des idées pacifiques exprimées dans la bulle pontificale : « Vous apparaîtrez dans le royaume napolitain, déchiré par la furie de la guerre, comme un ange de paix, » demande à l’artiste chargé de graver l’épée d’apparat qu’on portera devant lui comme l’emblème du pouvoir temporel, d’évoquer les hauts faits du César romain, de faire allusion à sa royauté future, d’exprimer tous ses ambitieux désirs ; et se place enfin sous l’invocation du conquérant, en écrivant au-dessous de son propre nom, de son titre et de son écusson : CVM NUMINE CÆSARIS OMEN-ALEA JACTA EST.