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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/407

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plus qu’aux seules familles dites parlementaires. Mais en ce qui touche particulièrement la propriété du sol, bien loin que les privilégiés eussent manifesté l’intention d’abdiquer un seul de leurs privilèges, on les voit dans toute la France, à la veille de la révolution, qui les revendiquent avec une âpreté nouvelle. Ils vérifient leurs titres, ils renouvellent leurs terriers, ils exhument des créances « auxquelles leurs prédécesseurs avaient eu la sagesse de renoncer, » ils en imaginent de nouvelles ; et, comme si ce qui survit du régime féodal n’était pas de soi assez odieux, ils semblent chercher les moyens de le rendre si lourd qu’aucune patience d’homme n’en puisse plus supporter le poids. Je renvoie pour les preuves au livre de M. Chérest ; mais croirons-nous que ce ne soit pas là une plus naturelle et plus juste explication de l’acharnement du paysan contre les terriers seigneuriaux que celle que M. Taine en trouve dans leur instinct de brutes exaspérées par la souffrance ou allumées par la convoitise ? Mais « ces brutes » savent très bien ce qu’elles font quand elles lacèrent ou qu’elles brûlent ces parchemins fraîchement renouvelés qui contiennent les titres de leur servitude ; et la colère qui les transporte est celle que depuis dix ans on s’est fait comme un jeu maladroit ou cruel d’exciter, d’attiser et de provoquer à l’explosion finale.

Car, en réalité, je ne sais si quelques grands seigneurs, hommes de cour, élevés pour ainsi dire au-dessus de leur caste par la grandeur de leur fortune, ou l’illustration de leur race, ou leur valeur personnelle, eussent fait volontiers abandon de quelques-uns de leurs privilèges. Mais ce que l’histoire des années qui précédèrent immédiatement la révolution et ce que les vœux des Cahiers nous apprennent, c’est qu’en tout cas ils ne formaient dans la noblesse qu’une très petite minorité, pour ne pas dire autant d’exceptions individuelles qu’il y en a de noms que l’on cite. Tous les autres, en effet, prétendent bien ne rien céder de leurs privilèges ou de leurs « droits ; » demandent formellement « qu’il soit stipulé que l’ordre de la noblesse ne pourra cesser d’exister en la même manière qu’il a toujours existé ; » et, en fait de « réformes, » n’en veulent consentir qu’une seule : l’égalité devant l’impôt. Encore entendent-ils que cette concession leur vaudra non-seulement quittance, mais confirmation de toutes les autres inégalités qu’ils représentent, et, en particulier, de toutes celles qui peuvent rappeler et perpétuer dans la France du xvin6 siècle le souvenir du régime féodal. Beaucoup moins généreux qu’on ne l’a cru sur tant d’autres points, ils sont intraitables sur le maintien du régime féodal. Or, et malheureusement pour eux, c’est le régime féodal avant tout et par-dessus tout qu’il s’agit d’abolir. Toute révolution qui n’eût pas aboli le