régime féodal eût manqué son vrai but, n’eût été qu’une émeute, qu’une insurrection, ne serait pas la révolution. C’est ce qui explique à la fois le caractère de ces jacqueries que l’on dirait que M. Taine se complaît à décrire, et l’impuissance de la Constituante ou de la Convention à les réprimer : en effet, ces Jacques opèrent au nom du principe même de la révolution, et la révolution n’eût pu les désavouer qu’en se reniant elle-même.
Il y a là, d’ailleurs, bien des questions que l’on attendait que M. Taine examinât de plus près. Par exemple, dans la France de 1789, était-il possible de toucher au régime féodal sans ébranler dans sa structure la société tout entière ? et, si les privilégiés avaient cessé de rendre les services dont ils étaient jadis étroitement tenus, pouvait-on les dépouiller de leurs anciens privilèges sans les dépouiller en même temps de leur condition ou plutôt de leur être social ? M. Taine le croit, ou du moins il paraît le croire ; il ne le prouve pas. En effet, il faudrait pour cela qu’il eût étudié plus à fond, mieux défini, mieux caractérisé la nature du régime féodal. Je sais bien que rien n’est moins facile, ni surtout plus compliqué, mais enfin, pourquoi, dans le temps de sa splendeur même, le régime féodal n’a-t-il jamais pu réussir à se faire accepter des peuples ? Si, comme tous les autres régimes, comme le despotisme et la théocratie, à son heure, il a rendu des services, d’où vient que l’on ait constamment refusé de les lui compter ? Qu’a-t-il en lui, dans son essence, qui répugne si fort, à quels instincts si profonds de la nature humaine ? C’est ce que M. Taine eût dû nous dire. On peut encore lui demander où et quand, chez quel peuple et en quel temps, les révolutions agraires, celles dont on peut dire « que le support intime » et le « sens historique » est d’être une « translation de la propriété » d’une classe à une autre, se sont opérées pacifiquement, sans convulsions douloureuses et déchiremens assez violens pour compromettre l’œuvre même de la civilisation ? Est-ce à Home ? est-ce à la Chine ? Il cite l’exemple de l’Angleterre et celui de la Russie, mais, sans compter qu’en Russie comme en Angleterre, le pouvoir a pris l’initiative d’une réforme qu’il repoussait en France, il existe toujours une aristocratie territoriale en Angleterre, il n’en a jamais existé en Russie, et ce que la révolution française visait surtout dans le régime féodal, c’était l’aristocratie. D’autres nous ont donné la psychologie des révolutions politiques, et d’autres la psychologie des révolutions religieuses ; il appartenait à M. Taine de nous donner la psychologie des révolutions sociales. S’il l’eût voulu, qui l’eût pu mieux que lui ? puisque personne mieux que lui n’a démêlé ce caractère de la révolution française, d’être avant tout, — et surtout avant d’être une révolution politique, — une