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et les idées de conscience et d’honneur. « La première de ces idées est d’origine chrétienne ; la seconde, d’origine féodale, et les deux, ajoutées bout à bout, mesurent la distance énorme qui sépare une âme antique d’une âme moderne. » Rien ne peut nous priver des droits que la conscience nous confère, comme rien ne peut nous exempter des devoirs que l’honneur nous impose ; et, dans ces droits d’abord, dans ces devoirs ensuite, la toute-puissance théorique de l’état rencontre des barrières qu’il ne peut franchir sans manquer à sa mission, qui est précisément de nous assurer à chacun la liberté de faire valoir nos droits et la facilité d’accomplir nos devoirs. L’empire de la loi finit où celui de la conscience commence, — le mot est de Napoléon, qui ne l’a pas toujours mis en pratique, — et l’honneur nous fait un devoir de ne pas permettre qu’on empiète sur notre conscience. Je voudrais pouvoir ici reproduire, sans en retrancher un seul mot, les belles et fortes pages où M. Taine a marqué les origines et mesuré la portée de ces deux idées maîtresses de la morale moderne. Quelque opinion particulière, hérétique ou orthodoxe, que l’on puisse professer sur le christianisme, quoi que l’on pense intérieurement de son dogme et du gouvernement de l’église, quel que soit enfin le sort ou le rôle que l’on croie que lui réserve l’avenir, dix-huit siècles de christianisme ont implanté profondément dans l’homme cette idée qu’il n’y a pas de droit contre le droit que nous avons de conformer nos actes aux commandemens de notre conscience. Et pareillement, quelque théorie que l’on enseigne sur le régime féodal, son établissement par la violence et son maintien par la force, quelque contentement, d’ailleurs, que nous puissions ressentir à nous voir délivrés de son poids, ou si résolus enfin que nous soyons à tout subir plutôt que de le voir renaître, il n’est pas moins certain qu’il a ancré dans le cœur de l’homme cette autre idée, que nous nous devons quelque chose à nous-mêmes qu’aucun pouvoir humain ne peut nous empêcher de nous rendre.

Honneur et conscience, maintenant, sont-ce là, pour parler le langage du positivisme, deux « acquisitions » dont le monde moderne ait le droit de se féliciter ? En supposant que peut-être un sentiment excessif de l’honneur ou une idée exagérée des droits de la conscience puissent engendrer des effets fâcheux, que sont-ils à côté de ce que la conscience et l’honneur nous inspirent de généreux et de noble ? Et, s’il en est ainsi, tout système politique n’est-il pas rétrograde, qui se proposera, je ne dis pas d’abolir eu nous le sentiment de l’honneur et d’y étouffer la voix de la conscience, mais d’en inquiéter ou d’en effaroucher seulement les ombrageuses délicatesses et les légitimes susceptibilités ? Porter atteinte aux droits de la