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prospérité ? C’est au phylloxéra de répondre. Déjà la contagion commence ses ravages et se charge de la revanche.

Tarragone, ville de fabriques, se console comme elle peut des sévérités de la fortune. Elle a une autre spécialité beaucoup plus ancienne, qui consiste à fournir de prêtres une bonne moitié de l’Espagne. Capitale ecclésiastique, elle n’a pas cessé de disputer à Tolède la dignité primatiale. Son grand séminaire est, au vrai sens du mot, la plus féconde pépinière du sacerdoce espagnol. Aussi est-elle partagée en deux zones bien distinctes : en bas, le commerce et les marchands ; en haut, l’église et le clergé. Le spirituel et le temporel ont chacun leur région ou leur quartier. La ville basse s’étend autour du port et des chemins de fer ; elle monte par une large rue assez pénible à gravir, à l’esplanade, vaste plate-forme toute neuve, plantée de jeunes arbres et incomplètement bordée de maisons. C’est le rendez-vous ordinaire des promeneurs, l’orchestre de la musique militaire. De larges trottoirs laissent beaucoup d’espace libre aux habitués des cafés et des restaurans. D’un côté, la vue s’étend au loin sur la mer, de l’autre sur la campagne voisine et les montagnes en amphithéâtre. Quand les travaux seront terminés, cette espèce de grand boulevard intérieur fera beaucoup valoir une ville qui a besoin d’être embellie. Au-delà de cette première enceinte commence la ville haute. C’est, à proprement parler, une montagne couverte de maisons pour la plupart vieilles et laides, disgracieuses, misérables. Quelques riches demeures, plus vastes que somptueuses, se détachent sur ces pauvres masures. Les rues tournent et montent, sales, étroites, mal pavées. Aucune animation, point de vie, un jour faux ; à peine quelques cris d’enfans déguenillés qui jouent dans la poussière et rompent le silence de ce sombre labyrinthe. Çà et là, entre deux murs rapprochés, des passages étroits et découverts descendent vers la ville basse par des degrés informes et vermoulus. Il faudrait être archéologue ou tout au moins antiquaire pour se plaire dans ces tristes ruelles où l’antiquité et le moyen âge se confondent, où chaque pierre porte témoignage du glorieux passé. Un air de pauvreté sordide enveloppe tant de richesses archéologiques, et le palais même d’Auguste, notablement diminué et réduit par un incendie, ressemble à une prison. Ce qui étonne le regard, ce sont ces prodigieuses substructions de blocs énormes sans ciment, sur lesquelles les Romains ont bâti pour des siècles. On croirait que les cyclopes ont passé par là.

A force de tourner, de monter, on arrive à bord du plateau qui couronne l’acropole. Un large escalier de pierre donne accès à la place qui s’étend devant le parvis de la cathédrale. La façade, d’une belle simplicité, n’est pas le moindre ornement d’un édifice de proportions admirables dans son imposante grandeur. Aucune