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chapelle de la Vierge communique de plain-pied avec le cloître, aussi vaste, sinon plus beau que celui de la cathédrale inachevée de Barcelone. Tout autour du jardin, planté d’orangers, de myrtes et de lauriers-roses, le sol des galeries est littéralement pavé de pierres tombales, ornées du T majuscule en forme de marteau. Là dorment de l’éternel sommeil des chanoines, des prébendes, des bénéficiaires de la cathédrale, et, parmi eux, l’homme le plus grand de son temps, un capitaine de cuirassiers à cheval, un géant dont la taille mesurait plus de 12 palmes. Il parait que ce colosse avait aussi en partage la grandeur d’âme, s’il faut en croire une épitaphe à peine lisible, qui atteste que les graveurs sur marbre de Tarragone respectaient médiocrement en ce temps-là l’orthographe castillane (février 1641). Le cloître est situé entre l’église métropolitaine, à gauche, et la somptueuse chapelle de la Vierge, à l’entrée de laquelle, à droite, se trouve la sépulture de Vicente Falconer, natif de Barcelone, docteur en médecine et en philosophie, mort à l’âge de soixante-quinze ans, le 11 juillet 1693. Il fut très célèbre de son vivant.

La cathédrale de Tarragone est un des plus rares échantillons de la belle architecture romane. Quand on l’a vue, il faut se hâter de partir, non sans avoir fait le tour de l’antique cité en montant du port vers la citadelle, le long de ces hautes murailles, désormais inutiles, et en descendant ensuite vers la ville basse par une avenue de beaux platanes. C’est dans ces bas quartiers qu’habitent les forgerons et les tonneliers. A mi-côte, un cirque tout neuf atteste le goût de la population pour la tauromachie, cette maladie endémique de l’Espagne. La jetée qui longe le port offre aux promeneurs qui la fréquentent le spectacle curieux d’une ville suspendue aux flancs d’une montagne dont le pied plonge dans la mer. Cette promenade est vraiment jolie au coucher du soleil.

De Tarragone à Valence, la route n’est pas belle et la distance parait longue, grâce à la lenteur insupportable du chemin de fer. Les montagnes sont pelées, rocheuses, dentelées ; le sol rougeâtre et dénudé est raviné par des torrens qui balaient la terre végétale. La vigne est maigre et clairsemée ; le pâle feuillage des oliviers donne au paysage une teinte grise. Partout la sécheresse ; sous les ponts serpente nonchalamment un maigre filet d’eau sur un lit de sable et de cailloux. L’Èbre, que l’on passe au-dessous de Tortose, est le seul fleuve de la région qui coule à pleins bords. Des rochers nus se dessinent fièrement sur le ciel d’un bleu profond ; pas un nuage ; un soleil de plomb et comme un avant-goût du désert. Çà et là, sur un pic aigu, se dresse une de ces tours mauresques qui dominent la plaine et la mer. Le long de la plage, des groupes de pins-parasols, dont la silhouette élégante et les vertes aiguilles animent le paysage, et, de