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vive, et où on passe d’ailleurs avec une étrange facilité de l’illusion au mensonge.

Dans la lettre 12, l’évêque recommande à son clergé les funérailles des martyrs morts dans les tourmens, et aussi des confesseurs que la mort a atteints dans le cachot avant les dernières épreuves. Il a soin de faire célébrer aussi les anniversaires, et il a un représentant chargé particulièrement d’y pourvoir.

Mais il fut distrait de ces soins pieux d’une manière pénible par les bruits fâcheux qui lui vinrent sur la conduite des confesseurs encore vivans, qu’il glorifiait avec tant d’effusion tout à l’heure. Des hommes d’un tempérament énergique avaient moins de peine à supporter les griffes de fer, les lames ardentes et le reste, qu’à contenir les appétits de la chair. L’église, qu’ils avaient si bien servie, ils la scandalisaient maintenant et la compromettaient par leur conduite. C’est à la troupe même des confesseurs que l’évêque adresse ses plaintes (lettre 13). Il s’en trouve parmi eux qui s’enivrent, qui manquent de tenue, qui s’abandonnent même au péché avec des femmes[1]. Quel opprobre pour le nom de confesseur ! D’autres sont orgueilleux, intraitables, toujours prêts à soulever des contestations et des querelles. Il semble que Cyprien prévoit déjà le mal qu’ils allaient lui donner. En même temps qu’il essaie d’obtenir des confesseurs plus sages qu’ils contiennent ceux-là pour l’honneur du corps, il recommande aussi à son clergé de surveiller ces sujets dangereux (lettre 14). La persécution alors était apaisée ; les confesseurs n’étaient plus dans les cachots ; mais ce clergé lui-même n’était plus entier ; une portion de ses membres avait abandonné la foi ; l’évêque presse d’autant plus ceux qui restent de redoubler de dévoûment et de zèle pour suppléer à ce qu’il ne peut pas faire lui-même, puisqu’il ne lui est pas encore possible de reparaître au milieu des siens. La lettre se termine par un trait remarquable. Ses anciens lui avaient écrit pour lui demander une décision sur un sujet que nous ignorons d’ailleurs ; il refuse de se prononcer : « Dès le commencement de mon épiscopat, j’ai résolu de ne rien faire de mon chef sans votre conseil et sans l’assentiment du peuple (c’est-à-dire des laïques ; le laos grec équivaut au plebs latin). » Au fond, il était le maître, puisqu’il n’était arrêté que par ses propres scrupules ; mais ces ménagemens témoignent qu’il restait encore dans l’église quelque chose de la liberté des premiers temps. Il était le maître, pourvu qu’il eût l’opinion pour lui.

Tout à coup éclatèrent des difficultés qu’il pressentait sans doute, et en face desquelles il se sentait affaibli par sa retraite même. Les

  1. Voir lettre 13, 5. Il y a Ici un détail singulier, que j’expliquerai plus tard quand je parlerai des vierges.