Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

merveilleux coup d’œil. Ici non plus, l’œuvre de l’homme n’a point gâté celle de la nature.

Palma est la digne capitale d’une île enchantée, que l’on pourrait définir une vallée riante et fertile entourée de montagnes, une terre de promission sous un ciel clément, abritée contre les vents du nord et du midi, propice à toutes les cultures. Aux endroits où la chaîne protectrice s’interrompt, la mer s’introduit doucement et forme les baies de Palma, de Pollensa, d’Alcudia, également vastes, également belles. La nature libérale a prodigué ses trésors et sur les côtes et dans l’intérieur des terres. On pourrait croire qu’elle a travaillé avec art à l’embellissement de ce pays fortuné. Tous les arbres fruitiers y prospèrent ; l’huile et le vin y abondent. La terre grasse nourrit des troupeaux magnifiques. Une eau délicieuse coule de mille sources et arrose les plantations. La sécheresse est inconnue sous ce bienheureux climat, où le citronnier et l’oranger croissent en plein champ et forment de véritables forêts. Il y a des centaines d’oliviers qui datent de plusieurs siècles. Les amandiers qui couvrent la plaine sont en fleur à la fin de décembre. Point de journée sans soleil ; le plus souvent un ciel pur et brillant. Le paysage est doré et réchauffé par la lumière du jour. Les nuits d’hiver sont douces et lumineuses. Les hautes cimes ont beau se couvrir de neige ; les vallées ne connaissent que la température du printemps.

Le voyageur qui foule ce sol privilégié marche d’enchantement en enchantement ; avec un peu d’imagination et de bonne volonté, il pourrait se croire transporté dans une de ces contrées fabuleuses de l’âge d’or chanté par les poètes. C’est au voisinage de la mer surtout que les beautés naturelles ont un merveilleux éclat. Les grottes d’Arta font l’admiration du géologue et l’enchantement de l’artiste. On dirait un palais souterrain des Mille et une nuits, et combien supérieur au fameux labyrinthe. Les côtes du sud, travaillées par la mer, offrent à la vue des grottes à plusieurs étages, comme les loges d’un théâtre, hantées par des troupes innombrables de ramiers. En voyant ces merveilles de la nature, on se rappelle la caverne de Philoctète décrite par Sophocle. De quelque côté que vous portiez vos pas, quelque surprise vous attend. La chartreuse de Valldemosa, qui est elle-même un superbe monument de l’architecture du XVe siècle, est entourée d’un paysage qui n’a point son pareil au monde. Il semble que, dans cette solitude enchantée, les idées de pénitence devaient faire place aux rêves enchantés d’une éternité bienheureuse. La simple vue de ces lieux fortunés transporte l’imagination bien au-delà des plus belles descriptions poétiques du Paradis, de l’Eden ou des champs Elysées. La plume magique qui a écrit Spiridion dans une des cours verdoyantes de la Chartreuse n’a pu rendre les beautés de ce délicieux vallon. Le