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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/474

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Oui, en vérité, il y a tout au plus quelques semaines, en plein sénat, un ancien ministre des finances, M. Tirard, appelait M. Thiers en témoignage au profit de l’opportunisme, et, par une confusion plus ou moins habile, il faisait honneur au gouvernement républicain d’avoir réparé les désastres de la patrie, d’avoir relevé la puissance financière et la dignité de la France. On a écrit des brochures pour mettre au compte de la république des républicains tout ce qui s’est fait d’utile et de salutaire dès 1871. Il n’y a que quelques jours, à Bordeaux, M. Jules Ferry lui-même invoquait, à l’appui de sa cause, « l’illustre M. Thiers, » son expérience, ses services, l’autorité de son nom et de son opinion devant l’Europe. De sorte qu’entre l’ancien président et les républicains qui ne sont arrivés au pouvoir que quelques années après, la solidarité serait complète et parfaite. La confusion peut être habile. Il y a seulement un malheur, c’est que tout cela n’est qu’une confusion, c’est que tout ce qu’a fait, tout ce qu’a pensé l’ancien président est d’avance la condamnation ou la contradiction de tout ce qu’ont fait ceux qui ont la prétention de le continuer en abusant de son nom.

Assurément M. Thiers a eu la rare fortune de réaliser pour le bien de la France les grandes choses qu’on lui attribue, auxquelles on se flatte aujourd’hui d’avoir coopéré. Il a eu le courage de signer une paix cruelle ; il a su, dans une situation malheureuse, réparer d’incomparables désastres, reconquérir la paix intérieure sur l’insurrection du crime, rétablir le crédit et les finances, préparer la libération du territoire, relever la considération du pays devant le monde. Il a suffi à tout ; mais comment a-t-il pu remplir cette mission réparatrice ? Quelles ont été ses règles de conduite dans une œuvre aussi pénible, aussi laborieuse que nécessaire ? Il a eu le mérite d’être l’homme d’état de cette situation, d’agir en chef de gouvernement toujours prêt à défendre les institutions permanentes du pays, d’avoir une politique aussi clairvoyante que résolue dans toutes les questions où les intérêts essentiels de la France étaient en jeu. M. Thiers n’était pas apparemment un clérical ; il savait sans doute, lui aussi, maintenir les prérogatives de la société civile. Est-ce qu’il a jamais eu la pensée ou la faiblesse de se prêter à des guerres contre l’église, de laisser toucher au budget des cultes, à la situation du sacerdoce réglée par des actes presque séculaires, de chercher dans l’enseignement public un instrument de parti ou de secte ? Son instinct de chef de gouvernement, d’homme éclairé, se révoltait contre cette politique. Il l’a dit bien des fois, il considérait comme indigne d’une vraie philosophie d’attrister une âme religieuse, d’inquiéter les consciences ; il regardait comme indigne d’une politique sérieuse de laisser mettre en doute le concordat, et lui qui était pourtant un esprit libre, il se croyait obligé d’être plein de ménagemens pour les chefs d’un grand culte. M. Thiers, comme il le devait dans les conditions douloureuses où il prenait le pouvoir,