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comme le lui aurait toujours inspiré son profond sentiment national, a eu à s’occuper de la réorganisation militaire de la France. Est-ce qu’il lui est venu à l’esprit de livrer l’armée aux réformateurs plus ou moins démocratiques ? Pas un instant il n’aurait voulu manquer à ce qu’il considérait comme le premier des intérêts français, à l’intérêt militaire. Il livrait des batailles passionnées contre des conservateurs aussi bien que contre les républicains pour défendre l’armée dans sa constitution, dans sa puissance, dans ses traditions. Il admettait à peine une légère transaction, sans cacher qu’il faisait un sacrifice ; et un des plus vifs chagrins de ses dernières années était lorsqu’il voyait reparaître ce service de trois ans qu’il avait si énergiquement combattu, qu’il était prêt à combattre encore. M. Thiers avait eu, avant tout, à réorganiser les finances, et il avait accompli cette surprenante restauration financière par l’habileté et le courage avec lesquels il avait accepté le plus lourd des fardeaux, par le soin qu’il mettait à introduire l’ordre et l’économie dans le budget, à relever le crédit, à ménager les ressources publiques. Sur tous les points principaux, les finances, l’intérêt militaire, la paix religieuse, M. Thiers était décidé d’avance, décidé jusqu’à donner sa démission si on voulait lui imposer des fantaisies de parti, et c’est ainsi qu’il réussissait à délivrer le territoire par la résurrection financière, à refaire une armée, à maintenir la paix, à relever la France dans l’estime du monde.

C’est là ce que M. Thiers a fait, non pas avec des divisions et des exclusions, mais en sachant se servir de tous les concours, en ménageant les opinions sincères, non pas avec des préjugés et des fanatismes de parti, mais avec la fermeté vive et éclairée d’un homme d’état à l’esprit tout français. Est-ce là ce que font ceux qui ont la prétention de l’enrôler aujourd’hui sous leur drapeau, de se servir de son nom pour couvrir sans distinction les « quinze années de république » dont ils tirent vanité ? Ils font et ils ont fait tout le contraire. Ils ont enseveli l’ancien président, ils l’ont rangé parmi les reliques qu’on exhume de temps à autre dans les momens de détresse ; ils se sont hâtés, dès qu’ils ont eu le pouvoir, de renier ses traditions, ses idées, ses conseils de telle façon que, si ce généreux et impétueux esprit était encore de ce monde, il serait certainement le premier à les désavouer et à les combattre.

Là où M. Thiers s’étudiait à réunir tous ceux qui pouvaient servir utilement le pays, à ménager les opinions, à faciliter l’accès de la république, ils ont porté l’esprit le plus étroit d’exclusion et de domination jalouse. Ils ont fermé et gardé les portes de l’église pour ne laisser entrer que les purs, les orthodoxes, comme M. Gambetta l’avouait un jour ; ils ont exclu depuis longtemps tout ce qui est conservateur, cela va sans dire ; ils excluent même les modérés de la république, ils leur accordent tout au plus le droit d’être des alliés résignés, perdus dans