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rivalités. De Mitau enfin, il correspondait avec les souverains qu’il sollicitait sans cesse, avec le comte d’Artois réfugié en Angleterre, avec les princes de sa maison, les Condé, généraux de sa petite armée ; les d’Orléans qui lui avaient fait leur soumission après une longue disgrâce[1].

Pour l’aider dans cette tâche, il avait deux collaborateurs : d’Avaray et Saint-Priest ; le comte d’Avaray, « la fleur de la petite cour de Mitau, » son ami personnel, « son sauveur, » dont le dévoûment ne s’était jamais démenti, qui possédait sa confiance et qu’il employait surtout aux affaires d’un caractère intime et privé ; le comte de Saint-Priest, l’ancien ministre de son frère, appelé près de lui en 1797 pour diriger sa politique. Ces deux personnages s’aimaient peu, se jalousaient, se disputaient sa faveur. Saint-Priest finissait toujours par l’emporter, ayant pour lui ses longs services diplomatiques, ses anciennes relations avec la plupart des hommes d’état étrangers, sa connaissance des cours du Nord. Marié à une Allemande[2], émigré en Suède, après un premier voyage en Russie, distingué par l’impératrice Catherine, c’était lui qui avait obtenu de Paul Ier l’asile de Mitau pour son roi. « Dans l’exil, il conservait, avec une froide hauteur, les formes et les prétentions d’un ministre de Versailles. Il n’en était que plus déplacé à Mitau, où on ne l’aimait pas. Le roi lui-même avait plutôt l’air de le craindre que de l’aimer[3]. » Il travaillait tous les matins avec sa majesté, qui, à son insu, soumettait ensuite à d’Avaray les résolutions prises en commun.

Les lettres aux souverains étaient l’œuvre personnelle de Louis XVIII. Il les rédigeait après en avoir causé avec ses conseillers. Celles qu’il écrivait au tsar étaient l’objet de longs débats[4]. La difficulté de bien vivre avec Paul Ier, ce qu’on lui devait déjà, ce qu’on attendait encore de sa générosité commandait la circonspection

  1. Ce qui reste de cette volumineuse correspondance ne forme pas moins de cent et quelques volumes in-folio, conservés au Dépôt des affaires étrangères. Il y en a tout autant répandus dans les divers dépôts d’archives en Europe.
  2. La comtesse Ludolf. Elle n’aimait pas la France, à en juger du moins par cet extrait d’une lettre qu’en 1798, après que son mari eut quitté Saint-Pétersbourg pour se rendre à Mitau, elle écrivait au chancelier russe, prince Bezborodko : « Je ne désire pas me fixer à Mitau. J’aime mon repos, ma tranquillité par-dessus tout et ne veux jamais me mêler de quoi que ce soit au monde. Je n’aime pas les Français, et l’un de mes bonheurs en Suède était de n’en voir jamais. » (Archives principales de Moscou.)
  3. Mémoires manuscrits d’un sénateur russe, exilé à Mitau, en 1800, que nous a communiqués M. Paul de Lilienfeld, gouverneur de Courlande, et que nous avons fréquemment consultés.
  4. Les lettres du roi au tsar, conservées à Moscou, sont écrites sur du papier in-4o de fabrique anglaise et hollandaise. Elles portent en filigrane tantôt une fleur de lis, tantôt la figure allégorique d’une Fortune debout sur un globe.