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dans le langage autant que la prudence dans les actes. Le roi s’adressait fréquemment à lui, tantôt pour lui communiquer les nouvelles qu’il recevait du dehors, tantôt pour lui soumettre les projets inspirés par les événemens, tantôt enfin pour appeler sa bienveillance sur des intérêts qu’il avait à cœur. Toute l’histoire de l’émigration de 1798 à 1801 tient dans cette correspondance défrayée un jour par les négociations relatives au mariage de Madame Royale, fille de Louis XVI, avec le duc d’Angoulême et au retour de la reine auprès de son époux ; un autre jour par les offres inattendues de Barras proposant d’aider au rétablissement de la monarchie, par les plans de Dumouriez rallié à la cause des Bourbons, et par son voyage à Saint-Pétersbourg. Puis, ce sont les mouvemens de l’armée de Condé, passée à la solde de la Russie, qui fournissent matière aux lettres du roi, l’excursion de Pichegru en Angleterre et en Allemagne, celle de Willot en Autriche, le mauvais vouloir de la cour de Vienne[1], les échanges de décorations entre Saint-Pétersbourg et Mitau, les missions successives du comte de Cossé-Brissac, du comte d’Avaray, de l’abbé Edgeworth de Firmon, du chevalier de la Garde, du marquis de la Maisonfort auprès de Paul Ier, et en dernier lieu, celle du vicomte de Caraman, destinée au dénoûment le plus lamentable.

Un autre objet sur lequel le roi revient sans cesse, c’est le désir qu’il nourrit de se rapprocher des frontières de France, « d’y paraître les armes à la main. » Pour réaliser ce désir, il sollicite, à de fréquentes reprises, l’agrément du potentat qui dispose souverainement de son sort et qu’il appelle tour à tour son bienfaiteur, son sauveur, sa Providence. Las de son exil, de l’oisiveté qui lui pèse, il renouvelle à tout instant sa requête. Sa présence à la tête des armées étrangères rassurerait ses fidèles sujets, surtout si la marche de ces armées était précédée d’une déclaration portant que les puissances coalisées poursuivent non la conquête de la France, mais le rétablissement des Bourbons. « Il veut trouver dans sa patrie son trône ou son tombeau. » Ces demandes sont jugées inopportunes à Saint-Pétersbourg : « Que l’intérêt sincère que je porte à sa personne rassure Votre Majesté, lui écrit Paul Ier, le 16 juillet 1799. Quant à son empressement de se présenter en France à la tête d’une armée, croyez-moi, il n’en est pas temps encore, et je serai le premier à vous proposer cette démarche aussitôt que l’heure en sera arrivée. » Le 12 août suivant, l’impatience du tsar se manifeste plus clairement : « J’ai vu que mes conseils n’ont pas le don de

  1. Nous possédons, sur ces divers épisodes, des documens inédits du plus attachant intérêt, à l’aide desquels nous nous proposons de les reconstituer.