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persuader Votre Majesté et de la convaincre de la force de l’intérêt que je lui porte. Je lui ai dit, et je répète encore, qu’elle doit attendre le moment favorable, que c’est moi qui lui en ferai part, et qu’en attendant elle doit rester à Mitau et laisser faire les puissances qui font la guerre à ses sujets ennemis. C’est à ceux-là à vous offrir la couronne qu’ils vous ont ravie et pas à Votre Majesté à implorer leurs bonnes grâces. Ce n’est pas aux armées et aux frontières que vous devez aller, mais droit à Paris de Mitau, si la Providence voudra le permettre. »

Les questions d’argent tenaient aussi une grande place dans la correspondance du roi de France avec l’empereur de Russie. Presque toujours résolues par la générosité de ce prince, dont le comte de Saint-Priest disait qu’il ne rappelait jamais ses bienfaits, elles renaissaient à toute heure, toujours impérieuses. À Mitau, outre le logement dans l’ancien palais des ducs de Courlande, le roi recevait du gouvernement impérial 600,000 francs par an. Mais cette somme ne représentait qu’une partie de ce que les émigrés coûtaient au trésor russe. L’armée de Condé, les cent gardes du corps attachés à la personne du roi, étaient à la solde de la Russie. Investis de grades honoraires, le duc d’Angoulême et le duc de Berry recevaient un traitement effectif. Un grand nombre de gentilshommes français étaient devenus officiers ou fonctionnaires du tsar. D’autres recevaient des pensions, ou même avaient été mis en possession de vastes domaines peuplés de paysans. Le représentant de Louis XVIII à Saint-Pétersbourg était payé sur la cassette impériale. Toutes les fois que Paul Ier mandait un Français près de lui ou en recevait un présenté au nom du roi, il lui accordait toujours, sous forme pécuniaire, un témoignage de sa faveur[1]. La pension de 600,000 fr. servie à Louis XVIII ne représentait donc qu’une infime part des charges que l’émigration imposait à la Russie. Elle était loin de couvrir les dépenses auxquelles le roi avait à pourvoir. Elle se grossissait, il est vrai, d’un revenu de 90,000 francs servi annuellement par l’Espagne, d’une autre rente que la cour de Madrid faisait à la reine, et dont, quand celle-ci vivait près de son époux, elle lui abandonnait la presque totalité. Mais ces ressources étaient peu de chose, en présence des misères que le roi avait à secourir.

La plupart de ses lettres n’avaient d’autre cause que sa détresse. Il y énumérait ses charges, y traçait le tableau de sa pauvreté, y sollicitait de nouveaux secours, en suppliant le tsar d’intercéder

  1. En 1797. Saint-Priest reçoit 1,000 ducats, et, pour ses fils, un domaine en Lithuanie. En 1800, Dumouriez, en quittant Saint-Pétersbourg, se plaint de n’avoir touché que 1,000 ducats.