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stoïque, dont il avait la sévérité. Pendant la vacance du siège, il avait été choisi pour écrire, au nom du clergé de Rome, la lettre par laquelle celui-ci adressait à l’évêque de Carthage ce qu’on peut bien appeler ses instructions au sujet de l’affaire des Tombés : nous le tenons de Cyprien même. On l’avait cru sans doute le plus capable de jouter avec l’illustre évêque d’éloquence et de belle latinité, et la lettre, en effet, conservée dans la Correspondance de Cyprien, est digne de lui être adressée[1].

Ce qui montre combien, en ces temps-là, il était difficile de reconnaître où était le droit dans l’église, c’est que d’abord Cyprien ne sut pas lui-même s’il devait reconnaître l’ordination de Cornélius. Il accueillit avec une égale réserve les lettres par lesquelles les deux rivaux, qui lui paraissaient également honorables, lui notifièrent leur élection et lit observer aux évêques d’Afrique les mêmes réserves ; puis, sur les rapports qui lui vinrent de Home, il se prononça pour Cornélius. Cornélius fut mécontent de cette hésitation, et Cyprien dut s’en excuser ; mais dès qu’il eut pris son parti, il servit nettement et énergiquement la cause qu’il avait adoptée et il se hâta de se servir de l’autorité de Cornélius pour combattre les dissidens qui, à Carthage, avaient méconnu la sienne.

Dans toute espèce de schisme, la lutte des personnes se rattache toujours à celles des idées. Celui de Rome était né, comme celui de Carthage, des disputes au sujet des Tombés. Mais tandis qu’on en voulait à l’évêque de Carthage d’être trop sévère, on accusait l’évêque de Rome de ne l’être pas assez. Les partisans de Novatianus étaient des rigoristes, héritiers de l’esprit intransigeant de Tertullien et qui ne voulaient pas que l’église se rouvrit jamais à qui l’avait une fois trahie. Les confesseurs de Rome, moins sensibles apparemment au plaisir de distribuer des indulgences qu’à celui de mépriser les faibles et de les tenir loin au-dessous d’eux, avaient pris parti pour le schisme. C’est auprès d’eux que Cyprien fut d’un grand secours à Cornélius. Il se les était attachés depuis longtemps, d’abord par sa sévérité même, et ils l’avaient aidé à ramener à l’obéissance les confesseurs de Carthage, puis surtout en relevant leur confession par les plus magnifiques éloges, quoiqu’elle n’eût pas eu l’occasion d’aller jusqu’au martyre ; ils lui avaient adressé, pour cet hommage de son éloquence, les plus chaleureux remercîmens (lettre 31). Il leur écrivit pour les détacher du schisme romain, dont ils faisaient la principale force, et il y réussit (lettres 46 et 47). Leur réconciliation fut un événement considérable ; on le sent à la joie que témoigne Cornélius dans une lettre qui nous

  1. Il nous reste encore de Novatianus deux écrits purement théologiques.