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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/625

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bien qu’il n’a rien donné : son plaisir a été payé par le jeune maître qu’il ruinait.

On comprend aisément que, par la nature même du registre, les notes qui le composent soient très courtes. La plupart se bornent à une date, un titre et un chiffre, quelques-unes ont deux ou trois lignes, un très petit nombre s’étendent jusqu’à une ou deux pages, trois au plus. Parmi les plus détaillées, il en est deux justement fameuses, celles où sont racontées l’expulsion du Petit-Bourbon et la mort de Molière. Ce sont là, en effet, deux événemens d’une importance capitale, et qui mettaient en jeu les deux sentimens les plus chers au cœur de La Grange, son attachement à son théâtre et son affection pour son chef. L’émotion a donc triomphé de sa réserve habituelle ; elle l’a fait parler avec une effusion relative, d’abord pour attester que « tous les acteurs aimoient le sieur Molière, leur chef, » parce qu’il « joignoit à un mérite et une capacité extraordinaire une honnêteté et une manière engageante qui les obligea tous à lui protester qu’ils vouloient courir sa fortune, » ensuite pour raconter avec une exacte précision dans quelle circonstance s’est produite « la perte irréparable. » Il n’y a pas lieu, assurément, d’attribuer une valeur littéraire au registre et d’y chercher un style ; c’est un document d’un grand prix, mais rien que cela, et l’auteur lui-même n’a pas songé un seul instant à faire œuvre d’écrivain. Mais on est frappé de l’aisance avec laquelle La Grange manie la plume lorsqu’il se donne un peu de champ. De plus, toutes les qualités de l’écrivain qui viennent du caractère, il les a : ses façons de dire sont nettes et franches comme sa pensée, mesurées, discrètes et courtoises comme son habitude tout entière. Enfin, s’il ne s’inquiète en rien de polir sa phrase, s’il ne s’interdit aucune des négligences de l’homme qui écrit pour lui seul, cette phrase n’en a pas moins une élégance et une souplesse très dignes d’attention.


V.

Il en est de la Comédie-Française comme de la plupart des institutions qui ont un long passé ; une légende commode exagère ou simplifie leur histoire vraie. Dater de 1658, ou même de 1680, avoir traversé la révolution et durer encore, n’est pas chose banale dans notre pays. Le respect que nous inspire une pareille exception nous fait supposer que, dès le début, la Comédie n’eut qu’à se laisser vivre. On peut résumer à peu près de la manière suivante l’opinion moyenne sur son existence aux deux derniers siècles. Molière arrive à Paris ; son génie charme Louis XIV,