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que, dès que le redoutable pèlerin en aurait fini avec les idolâtres, ce serait le tour des Français. Encouragé par ses premiers succès dans le Kaarta, il faisait piller nos traitans sur le haut fleuve et adressait aux indigènes de Saint-Louis une proclamation où il les appelait à se joindre à lui. On pouvait donc s’attendre à voir de près ses talibés (forme sénégalaise de l’arabe taleb, tolba), c’est-à-dire ses savans, ses théologiens, ses lettrés, ainsi nommés parce qu’ils étaient censés avoir étudié le Koran, mais qui, en réalité, n’étaient que des soudards fanatiques, totalement illettrés, et les plus grands brigands du pays.

Ce fut un moment critique pour la colonie : la lutte avec les Maures durait encore, et, pendant que celle-ci anéantissait le commerce au-dessous de Bakel, les violences des Toucouleurs l’anéantissaient au-dessus de ce point. On avait à la fois une double guerre sur les bras : pendant la saison sèche, il fallait batailler dans les sables des Trarzas et les broussailles du Oualo ; quand venait la saison des pluies, il fallait profiter de la crue du fleuve pour le remonter avec la flottille et courir au secours de nos établissemens menacés.

La situation fut sauvée par une décision hardie du gouverneur. Il résolut, à 250 lieues de Saint-Louis, en plein pays insurgé, de fonder une forteresse nouvelle. Le pays à occuper s’appelait le Khasso et son roi s’appelait Sambala. Il n’était pas musulman ; au contraire, en haine du Koran, il affectait de boire du dolo (bière du pays) ; c’était là sa profession de foi, et il la renouvelait avec tant d’ardeur que l’on peut bien considérer l’ivrognerie comme son péché mignon. Il faut lui rendre cette justice que constamment il a été notre allié, héroïque à l’occasion, et toujours fidèle. Un marché fut promptement conclu avec Sambala. Moyennant 5,000 francs une fois payés et une rente annuelle de 1,200 francs, il nous céda sur la rive gauche un vaste territoire. Sous les yeux du gouverneur, les travaux furent commencés le 15 septembre 1855 et durèrent vingt-deux jours. Médine était fondée.

En avril 1857, les troupes du prophète en firent le siège. Nous renvoyons aux récits du général Faidherbe, où l’on trouvera les dramatiques épisodes de la défense de la place par le mulâtre Paul Holle et de sa délivrance par le gouverneur. Avec une cinquantaine d’hommes, dont 9 Européens, l’énergique commandant brava, pendant quatre-vingt-dix-sept jours, l’effort d’une armée de 20 à 25,000 hommes, repoussa deux assauts, protégea le village de notre allié Sambala. C’est au moment où la garnison en était réduite à ses dernières cartouches et à ses dernières rations, quand le commandant avait déjà tout préparé pour se faire sauter, que