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qui leur refusaient tout moyen de voyager autrement ; ceux qui trouvaient l’entreprise hasardée, parce que sûrement nous serions attaqués tout le long de la ligne, et ceux qui estimaient les forts inutiles, attendu qu’on ne nous attaquait nulle part, tous s’unirent pour repousser la demande du gouvernement : elle fut rejetée par 234 voix contre 197. Le sénat essaya de rétablir le crédit ; la chambre se montra intraitable et le rejeta une seconde fois. Telle est jusqu’à présent l’histoire des chemins de fer du Sénégal devant le parlement français. L’opposition n’avait apporté en somme que des argumens assez faibles, souvent de pure fantaisie, et il aurait mieux valu invoquer tout simplement la raison d’économie. En tout cas, pas un de ses orateurs n’a même fait allusion à une autre solution qu’on met aujourd’hui en avant et qui mérite au moins d’être discutée : elle comporterait à la fois une importante modification du tracé et l’exécution des travaux, non plus par l’état, mais par l’industrie privée.


IV.

Dans les discussions des chambres, comme dans la presse, se sont manifestées quelques appréhensions sur l’avenir politique que nos succès mêmes nous ont préparé sur le Haut-Sénégal et le Haut-Niger. Les Français allaient, disait-on, se trouver aux prises avec une situation pleine d’inconnues. Quelque jour, un marabout provoquerait contre nous un soulèvement général des populations noires. La France aurait aussi sa question soudanienne : le Haut-Niger serait pour elle ce qu’est pour les Anglais le Haut-Nil. Elle aurait son mahdi, peut-être son Khartoum.

Il est inutile de discuter ici la façon, assez différente de la nôtre, dont les Anglais ont procédé en Égypte et au Soudan oriental, leur système d’administration et leur manière de faire la guerre, les antipathies qu’ils ont soulevées partout, les surprises qu’ils se sont en quelque sorte ménagées à eux-mêmes, la brutalité de leurs procédés quand les questions pouvaient se résoudre pacifiquement, leurs lenteurs infinies quand le moment d’agir avec quelque énergie était venu. Il n’est nullement prouvé que les choses se seraient passées de la même manière dans la vallée du Nil si les Français avaient été à la place des Anglais. Mais je veux chercher ailleurs nos motifs de sécurité et montrer que la situation ethnographique, religieuse, politique, du Soudan français n’autorise pas cette prévision d’un mahdi s’élevant tout à coup contre nous.

Sur le Haut-Sénégal et le Haut-Niger sont établies des races nombreuses :