Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/674

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Timbo, où règnent ses frères Mountaga et Aguibou. L’empire toucouleur est en trois morceaux ; en effet, par Kita et Mourgoula, nous tenons la route de Ségou à Nioro ; par Bammako, celle de Ségou à Timbo; par Bafoulabé, celle de Timbo à Nioro. Dernièrement, quand Aguibou a voulu envoyer quelques centaines de cavaliers au secours de son frère, ceux-ci, obligés de passer sous le canon de Bafoulabé, ont reçu du commandant l’ordre de rebrousser chemin, et ils ont obéi immédiatement.

Ahmadou a bien des affaires en même temps : lutte contre les païens insoumis et lutte contre ses frères. Aux dernières nouvelles, qui datent de quelques semaines, il assiégeait Nioro, où Mountaga le bravait avec 400 captifs et 150 talibés ; cette marche sur Nioro, si elle aboutit à une défaite, pourrait avoir cette conséquence qu’Ahmadou trouverait à son retour les portes de Ségou fermées. Ce n’est pas que ses affaires aillent beaucoup plus mal qu’il y a vingt ans ; les récits de M. Gallieni reproduisent trait pour trait les récits de Mage. A vingt ans d’intervalle, on retrouve ce despotisme anarchique, instable, ombrageux ; cette hostilité des deux milices principales de l’empire, celle des sofas, qui sont des Bambaras, et celle des talibés, qui sont des Toucouleurs : la première, haïssant le maître comme étranger ; la seconde, le haïssant parce qu’il n’a pas rempli les promesses de son père et partagé à ses fidèles l’or qui remplit, assure-t-on, trois chambres de son palais. Le sultan ne se maintient qu’en opposant l’une à l’autre ces deux milices ; il a réussi à exciter entre elles une telle animosité que les talibés, dans une bataille, ne se décident à marcher qu’après avoir fait écraser leurs rivaux. A vingt ans d’intervalle, on retrouve ces palabres où le souverain reproche amèrement à ses guerriers de ne plus savoir se battre, à ses sujets de ne plus acquitter régulièrement le tribut, où il exige d’eux de nouvelles garanties, de nouveaux sermens qui ne sont pas mieux tenus que les premiers. On retrouve enfin cette police inquiète et cruelle qui a entouré Ségou d’un cordon sanitaire, qui punit de mort quiconque sort de la ville ou traverse le Niger sans permission et qui ne maintient qu’à force d’exécutions un semblant de sécurité.

Du reste imagine-t-on qu’Ahmadou, s’il n’avait pas toutes ces difficultés sur les bras, aurait supporté tout ce que nous avons fait sur son territoire, nous qu’il hait d’une haine mortelle? Car c’est sur son territoire que nous avons élevé nos forts de Bafoulabé, Badumbé, Kita, Koundou, Bammako et que nous avons pris Sabouciré, Goubanko, Daba ; c’est un de ses vizirs que nous avons chassé de Mourgoula ; ce sont ses sujets que nous châtions ou que nous lions à nous par des traités ; ce sont ses forêts que nous abattons pour tracer