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la ligne du chemin de fer, c’est sur ses eaux que navigue notre canonnière le Niger. On peut deviner avec quels sentimens il voit chaque jour se rapprocher de lui tous ces engins à vapeur, qui, ainsi que l’insinuait à M. Gallieni son plénipotentiaire, « ne lui disent rien de bon. » Il supporte tout cela cependant ; l’approche de nos colonnes lui fait rentrer ses protestations dans la gorge ; plus nous devenons menaçans, plus il se dit notre ami. Il sait que, s’il rompait avec nous, quinze jours après toutes ses tribus idolâtres seraient en insurrection et que son seul asile contre leurs représailles serait peut-être dans le camp français. Quant à Samory, dans lequel certains entrevoyaient naguère le mahdi annoncé, il a suffi de la résistance d’une poignée d’hommes dans les marais du Niger pour que son empire, à peine ébauché, s’évanouît. Le combat d’Oueyako a été pour lui ce qu’avait été pour El-Hadji la défense de Médine. Le succès du colonel Borgnis-Desbordes a même été si complet que, pendant quelque temps, Samory a disparu complètement de notre horizon. Aux dernières nouvelles, le 22 juin 1885, il a été battu à Sicatoca, non loin de Niagassola, par le commandant Combes.

Enfin, parmi les nombreuses causes de l’échec des Anglais dans la vallée du Nil, il faut remarquer que celle-ci est une vallée ouverte, que les commerçans britanniques y avaient fait pénétrer de toutes parts les fusils perfectionnés, et qu’eux-mêmes ont armé les barbares qui ont décimé les troupes de la reine. Au contraire, le bassin du haut et moyen Niger est un bassin fermé; les négocians de la Grande-Bretagne ne pouvant remonter au-delà de Boussa, c’est seulement, au moins pour l’instant, par le Haut-Sénégal qu’on peut pénétrer dans le Soudan occidental. C’est à nos autorités militaires à veiller à ce que l’on n’y importe que des fusils approuvés par nous. A la vérité, la récente conférence de Berlin a déclaré libre le commerce du Niger, comme celui du Congo ; mais pour le moment le vœu est purement platonique. D’ailleurs, quand même il serait matériellement possible aux Anglais de trafiquer sur le Niger, le traité de Berlin a réservé exclusivement à la France la police des eaux soumises à notre influence. Si les industriels de Manchester y font pénétrer des carabines Remington et des fusils à répétition, nous n’aurons à nous en prendre qu’à nous.

En résumé, dans la question du Soudan occidental, il n’y a aucune inconnue. Nul pays au monde n’a été plus exactement étudié; la cour d’Ahmadou a moins de mystères pour nous que celle de la reine Victoria. Après Mage, Soleillet; après Soleillet, Gallieni; après Gallieni, le colonel Borgnis-Desbordes, le colonel Boilève, le commandant Combes, la canonnière le Niger, ont exploré le pays. Nous savons où nous allons, et nous savons ce que nous trouverons là-bas. Les potentats du pays et les Français se sont tâtés. Nous