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l’importance qu’il a prise plus tard dans l’église. Il le développe dans un morceau que je traduirai tout entier :

« Le Seigneur, parlant à Pierre : Je te le déclare, dit-il, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église, et les portes des enfers n’en viendront pas à bout, et je te donnerai les clés du royaume des cieux, et ce que tu fermeras sur la terre sera fermé aussi dans les cieux, et ce que tu ouvriras sur la terre sera ouvert aussi dans les cieux. (Matth., XVI, 18.) Une autre fois, après sa résurrection, il lui dit : Fais paître mes brebis. (Jean, XXI, 15.) C’est sur lui, sur un seul, qu’il bâtit son église ; c’est lui qu’il charge de faire paître ses brebis. Et quoique, après sa résurrection, il donne à tous ses apôtres une puissance égale et qu’il leur dise : Ainsi que mon Père m’a envoyé, moi à mon tour je vous envoie. Recevez l’Esprit saint ; si vous remettez à un homme ses péchés, ils seront remis, et si vous les retenez, ils seront retenus (Jean, XX, 21) ; cependant, pour manifester l’unité, il a voulu, en vertu de son autorité, que l’origine de cette unité partit d’un seul. Cependant, tous les apôtres étaient ce qu’a été Pierre ; ils partageaient également avec lui l’honneur et la puissance ; mais le commencement part de l’unité, et la primauté est donnée à Pierre, pour qu’il soit montré que le Christ n’a qu’une église et qu’une chaire. Tous sont bergers, et on ne voit qu’un troupeau, que font paître à la fois tous les bergers par un accord unanime… Celui qui n’est pas attaché à l’unité de l’église, croit-il être attaché à la foi ? Celui qui résiste à l’église et lui tient tête, celui qui laisse là la chaire de Pierre, sur laquelle l’église est fondée et qui l’abandonne, peut-il compter qu’il est dans l’église ? »

A prendre ce morceau dans son ensemble, il est évidemment d’accord avec les sentimens que nous connaissons à Cyprien. Pierre n’a point de supériorité ; tous les apôtres sont autant que lui, et par conséquent tout évêque vaut l’évêque de Rome. La parole dite à Pierre n’a que le caractère d’un symbole, par lequel le Christ a voulu seulement marquer mieux l’unité de son église en s’adressant à un seul. Cependant il y a là quelques expressions qui semblent tellement flatteuses pour Pierre et ses successeurs qu’elles en ont paru suspectes. Elles manquent dans plusieurs manuscrits, et des éditions les écartent comme apocryphes. M. Paul Viollet estime qu’elles sont authentiques[1], et je me range à son avis. Je n’y vois rien qui contredise formellement les idées de Cyprien, et au lieu de supposer qu’on a fait des additions au texte dans l’intérêt de l’église romaine, on peut supposer tout aussi bien que ce sont

  1. Bévue critique du 12 juillet 1880, p. 33, note I.