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au contraire ceux qui se débattaient contre les prétentions de cette église, à une époque postérieure, qui y ont fait des suppressions ; ou peut-être encore Cyprien lui-même, lors de sa querelle avec Stéphanus[1].

Il est certain, dans tous les cas, que l’évêque de Carthage, quand il proclamait l’unité de l’église, ne l’entendait pas du tout comme on l’entendait à l’époque où Bossuet prononça son fameux sermon de 1682. L’église, je le répète, n’avait pas au mc siècle d’unité extérieure ; car il ne s’y trouvait pas un chef reconnu, et on ne connaissait pas non plus les conciles œcuméniques, qui ne purent se réunir que quand la puissance publique lut chrétienne. C’est dans chaque église seulement que cette unité extérieure pouvait être obtenue par le gouvernement de l’évêque, et c’est l’objet que Cyprien a poursuivi avec tant de passion et de succès.

C’est la passion qui le rend éloquent, en se faisant jour à travers les textes. C’est ainsi qu’il nous montre l’Ennemi, c’est-à-dire l’esprit du mal, abattu d’abord par la ruine de l’erreur quand il a vu les idoles abandonnées et leurs temples déserts, mais se retournant tout à coup et reprenant ses espérances, lorsqu’il a inventé le schisme pour désunir l’église par une voie cachée et plus dangereuse. C’est ainsi qu’il défend aux séparés de prétendre à l’honneur du martyre ; car ils ont troublé l’union et la paix ; l’amour leur a manqué ; il reprend les ardentes paroles de Paul sur l’amour (ἀγαπὴ (agapê), caritas) que rien ne remplace : « Et quand je livrerais mon corps au feu, si je n’ai l’amour, je n’ai rien gagné ; » et il les met au défi de trouver la couronne dans les supplices mêmes, où ils ne trouveront que condamnation et désespoir. Il fait de ces hommes le portrait le plus odieux et le plus triste : ils sont pires que les Tombés ; car le Tombé regrette son église, et l’autre la renie ; le Tombé ne fait de mal qu’à lui ; l’autre entraîne ses frères à leur perte ; le Tombé se repent et pleure, l’autre est joyeux et fier de son crime ; le Tombé a péché une fois, l’autre pèche tous les jours ; le Tombé a devant lui l’espoir du martyre ; pour l’autre, tant qu’il est hors de l’église, il n’y a rien à espérer.

Tout cela est vif et puissant, mais terrible. Nul n’a plus fait que Cyprien pour établir dans l’église l’autorité, mais on sent que cette autorité sera un jour bien dure. C’est le despotisme clérical, c’est

  1. J’indique ici les incises contestées par les premiers et les derniers mots de chacune :
    C’est sur lui — paître ses brebis.
    Et la primauté — par un accord unanime.
    Celui qui résista — et qui l’abandonna.