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l’asservissement des peuples que cette éloquence a préparé. A qui la faute ? Il ne faut pas hésiter à le dire : la faute en est aux persécutions. On était sur un champ de bataille ; l’évêque était le capitaine et devait être obéi. Toute indépendance profitait à l’Ennemi et devenait défection. C’est pour défendre leur liberté contre la puissance romaine que les chrétiens ont élevé une puissance qui a détruit pour des siècles toute liberté.

Mais une autre réflexion vient à l’esprit à la lecture de ce discours, c’est que l’éloquence de Cyprien allait à détruire aussi, sans qu’il s’en doutât, l’indépendance des évêques. Il a beau être ingénieux à interpréter la parole adressée à Pierre, cette parole devait inévitablement aboutir à faire de l’église une monarchie ; car jusque-là il manquait toujours quelque chose à l’unité. Le temps n’est pas loin où le chef de l’église de Rome sera porté définitivement par la force des choses au-dessus de tous, où il deviendra, en effet, un évêque des évêques, où seul il s’appellera le pape, où il pourra même porter tout de bon ce titre de pontife suprême, qui était resté celui des césars tant que la vieille religion a régné. Le catholicisme a été achevé le jour où le Tu es Petrus a été gravé en lettres colossales au-dessous du dôme de Saint-Pierre. Et c’est précisément à ce comble de grandeur qu’a commencé son déclin. Mais les églises affranchies n’ont pu échapper à la domination de la papauté qu’en détruisant aussi la domination des évêques, sur laquelle celle-là était assise, quelque illusion que se soient faite là-dessus, soit le grand évêque de Carthage, soit nos illustres évêques gallicans.

Un autre petit écrit de Cyprien, de la Jalousie et de l’Envie, lui a évidemment été inspiré encore par sa querelle avec les dissidens. C’est par ces sentimens qu’il explique comment ils se sont séparés de lui. Partout où il y a un gouvernement et une opposition, il est rare qu’on ne puisse pas surprendre quelque part chez les mécontens des passions de cette espèce ; il est rare aussi qu’elles suffisent à rendre compte de leurs plaintes et de leurs attaques. Qu’aurait dit Cyprien si on lui eût soutenu qu’il n’y avait des chrétiens que parce que les césars, les puissans, les riches, tous ceux qui se trouvaient bien de l’ordre établi, avaient soulevé la jalousie et l’envie de tous ceux qui en souffraient ?


HAVET.